TAKASHI MURAKAMI : RENVERSANT

Takashi Murakami nous la joue à l'envers. Bleu, doré, rouge : voilà tout ce qu'il retient de l'héritage d'Yves Klein. En parcourant l'exposition "Homage to Yves Klein" présentée à la galerie Perrotin (20 octobre 2011 - 7 janvier 2012), on a un peu l'impression de regarder le remake américain d'un films français…. ou japonais.
















Ceux où, pour d'obscures raisons culturelles, nos chers voisins transatlantiques ne conservent de l'original qu'une forme vague, la rendent grossièrement plus attractive et la vident de sa substance, et du fond. Alors, d'accord, Klein a dédié sa vie au vide. Mais cela ne fait pas de ses tableaux des coquilles vacantes que l'on peut remplir à sa guise, genre Klein fourré aux crânes, ou Klein saveur manga fleuri.


A vrai dire, l'erreur commence dès le titre. A-t-on besoin que l'on nous dise qu'il y a "hommage" pour que l'on comprenne ? Et ceux à qui la comparaison échappe, quelle importance qu'ils en soient informés ? C'est vrai que certaines toiles ressemblent plus aux Nymphéas de Monet, ou aux toiles all-over des maîtres de l'abstraction géométrique américaine que du breveteur de l'IKB. Et alors ? C'est lecture unique obligatoire ?















Mais il y a pire : la confrontation directe avec les toiles originelles. Leur présence fait mal. Surtout que l'on se pose la question de leur utilité. Murakami n'a-t-il pas décroché de son séjour versaillais, et de ses mises en parallèle avec l'art établi (comme tend à le prouver la présence de tirages photographiques de l'expo au Château de Versailles en fond de salle) ? Le risque de se genre de juxtaposition et de risquer l'effet original / copie, plutôt que d'atteindre une relation maître / élève, morceau premier / reprise, inspiration / hommage qui siérait mieux à l'instigateur du projet.


La palme revient tout de même à la galerie avec l'installation de cordons de sécurité devant les oeuvres, et même de vitres pour certaines d'entre elles. Le genre de précautions que l'on n'a plus vu depuis…. le déménagement de la Joconde. Si ce n'est "qu'une" question de sécurité, autant ne pas déplacer les Klein…. et pourquoi dans ce cas enfermer Murakami ? Une seule question nous taraude alors : "Cher Emmanuel, vous souvenez-vous du temps où vous compreniez l'humour de Cattelan, où le Lonesome Cowboy de Murakami éjaculait à la face du monde de l'art, où vous souteniez l'élégance brutale de Trouvé ? Vous rappelez-vous de ce temps où vous affirmiez, par votre vitalité, que l'art est une violence faite à l'esprit, à la morale, à son époque, à l'art lui-même ? Où vous brilliez par votre insubordination, "ici même, vous en souvenez-vous" ?
















Seulement, on pourra toujours arguer que Murakami a tout compris, à l'envers peut-être, mais a tout compris. Il a bien saisi, qu'à l'instar du Caravage, Courbet, Schiele, Duchamp, & Co., Klein était sans doute le plus rebelle et le plus punk des artistes que l'on encadre comme des reliques aujourd'hui. L'hommage devient salvateur. Klein ne mérite pas le respect qu'on lui porte. En tout cas, pas celui d'une icône inaccessible. Alors, lorsque Murakami en dépoussière la tombe, on se réjouit d'apercevoir les restes, vestiges oubliés.

La démultiplication des formats (jusqu'à la version imprimée), la présence de feuilles d'or, les paillettes dans la peinture remémorant la quête de l'immatériel, l'intelligence commerciale, la construction d'une image, la fascination pour une technique d'exécution mystérieuse : tout pousse à souligner la grâce avec laquelle le maître honore l'élève, et inversement. La sacro-sainte peinture est mise à mal, comme taguée (vous savez, un geste qui a été une forme de révolte… il y a bien longtemps) ; parasitée comme un cadavre, elle permet la prolifération de la vie, redevient source créatrice. Takashi "Frankenstein" Murakami ranime et ravive Yves "Le Monstre" Klein, corps et esprit.


"Homage to Yves Klein" est la version mâchée et régurgitée par l'Orient de l'oeuvre d'un occidental fasciné par la culture japonaise. Une sorte d'aller-retour. Simplement trop zen peut-être. Car Klein a besoin, comme le public, d'être "violé dans des positions rares" (dixit l'autre enragé de Picabia), et que son oeuvre soit irrespectée, remplie, bourrée, maltraitée. C'est le plus bel hommage qu'on puisse lui rendre.



Photographies : André Morin / courtesy : l'artiste & Galerie Perrotin, Paris.

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