CLAUDE LÉVÊQUE - JEAN GENIE

Vous avez sans doute tout lu sur Claude Lévêque ces derniers jours, tout vu à la télé, tout écouté à la radio, tout analysé dans des débats familiaux dominicaux enflammés (!). Tout le monde y est allé de son petit grain de sel sur la question, la place, la p(rop)osition de la France sur la scène internationale de Venise. Alors pourquoi pas nous ? Apportons notre goutte salée à la mer morte des critiques sur le phénomène Lévêque….

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Seulement voilà, Claude Lévêque est sans doute l’un des meilleurs artistes au niveau international dans sa capacité à territorialiser l’espace et à démontrer un mélange terrifiant de poétique et de violence, réhabilitant l’esthétique à coups de matraques. Pas de débats (ou si peu) là-dessus possibles. Certains lui reprocheront son côté français, adepte de littérature appliquée, et aimeraient le voir déconnecter le processus dans une attitude profondément anglo-saxonne. Il est ainsi, comme une évidence, une sorte d’incarnation du pouvoir sublime de Jean Genet. Nous ne pouvons donc que nous réjouir qu’il profite enfin d’un début de reconnaissance à la hauteur de son talent. Engagé politique ; il est plutôt combattant du banal. Son implication intime, troublante, agaçante pour certains, n’est que la dissolution du soi dans un universel d’humanité. Crachant à la figure d’une chrétienté qu’il caresse doucement. Ce qui nous amène à un côté de sa personnalité, ou plutôt à un angle possible de regard sur son travail, qui peut paraître étonnant : le rock.

Déjà parce que pour un artiste français, le rock est un exotisme. Ensuite, parce que dans les installations de Lévêque, le rock ne transparaît, ni ne transpire, pas vraiment. Alors, sans marcher dans les pas de Sainte-Beuve (désolé Charles-Augustin, mais vous n’êtes pas franchement un exemple à suivre…), nous pouvons nous demander comment le rock a-t-il fini par être autant associé à Lévêque, en dehors de ses goûts personnels (qui ne nous regardent (presque) pas, cf plus haut).

Que sur son site personnel, Claude Lévêque propose une playlist est intéressant et amusant. Mais que, successivement, les Inrocks reprennent une partie de cette liste et la propose en écoute sur leur site, que Richard Leydier dans Artpress (supplément n° 357, juin 2009) nous décline une liste conséquente de ces groupes d’influences, qu’Emmanuelle Lequeux déclare Lévêque « le plus punk des plasticiens français » (Beaux-Arts Magazine, n°300, juin 2009), tout ceci commence à questionner sérieusement le français moyen que nous représentons : mais qu’est-ce qui fait de Lévêque un personnage rock ou, plus pernicieusement, pourquoi le rock est-il autant mis en avant dans l’approche que l’on fait de Lévêque ?

Car Lévêque est rock, cela ne fait aucun doute. Comme un symbole, il travaille comme s’il était leader d’un groupe (accompagné de Gérôme Nox, Léo Carbonnier, Pascal Mazoyer), entre le gang et le crew, véritable projet mouvant de musiques et de visions mêlées. Ou encore, le fait que l’artiste Elodie Lesourd ait transposé plusieurs œuvres de Lévêque en peinture (dont la dernière, remarquable et fragile vanité, I Kill Children, vue à la Galerie Olivier Robert), accréditant la rockitude de son travail. Et elle ne s’y trompe d’ailleurs pas, la solution se trouve dans les titres. De My Way à I wanna be your dog, en passant par Whirlwind (Roxy Music, Rancid, ou autre ?), Flowers of Romance, Wild Horses ou encore City Strass (a Joey Ramone). Pourtant, rien ne transparaît en apparence dans les lumineuses constructions de Lévêque. D’autant plus lorsque l’on se penche sur la playlist en question à forte tendance hardcore, punk et post-, industriel, voire trash. Autant dire que cela ne plaisante pas. Pas de doutes, le rock est une réalité (il a ajouté récemment les titres précis des groupes sur son site, histoire de valider un peu plus les choix et de montrer qu’ils ne sont pas une démonstration illusoire, en même temps que disparaissaient Marilyn Manson ou Joy Division… question de mood ?).

Mais pourquoi en parler alors (et lui consacrer cet article complet, comble de la stupidité) ? Est-ce finalement si fascinant que cela un artiste (avec une sensibilité exacerbée) qui écoute du rock « dur », de nos jours, en France ? D’où vient la nécessaire validation, manifestation, étonnement, de nos confrères journalistes ? Pourquoi le clamer haut et fort ? Qu’est-ce que cela change au fond sur la vision que l’on a de son œuvre ? Est-ce que cela offre une pointe de violence ou de « bad boyïsation » à des œuvres que l’on a peur d’aimer simplement, trop belles pour ne pas promettre de venir cracher sur vos tombes ? S’il admet porter une attention particulière à ses titres, il se défend presque timidement d’écouter du rock : « c’est loin tout ça » déclarait-il à l’émission Rendez-Vous de Laurent Goumarre sur France Culture à propos des Stinky Toys et autres Marquis de Sade, comme il évoquait son besoin « naturel » d’écouter un petit Pantera pour se réveiller le matin… Rien de nouveau sous le soleil de Satan après tout.

Pourquoi ne pas, dans ce cas, donner son avis, et dire quels groupes vous semblent affleurer à la surface des travaux de Lévêque : Elvis Costello, Oxbow, Bauhaus, Slint, The Birthday Party, Killing Joke, Daniel Johnston, Swans, The Locust, Tori Amos, Entombed, A Silver Mt Zion, Brujeria… On attend vos propositions.

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Alors oui, Claude Lévêque écoute du rock (et du bon pour le coup) et son œuvre en est parcourue de toutes parts si tant est que vous y regardiez de plus près et appreniez à voir sous les lumières, réelles ou irréelles, intérieures ou extérieures, éblouissantes ou blafardes, tristement joyeuses ou joyeusement tristes. Peu importe que vous le trouviez plus proche d’une version Jean Baltazaarrr que de Jean Genie. Claude Lévêque vit rock. Et si vous ne nous croyez pas, c’est que vous, vous vivez sûrement dans une maison Prêts à crever. Silence. S’il suffisait après tout de lui laisser la parole, tout simplement :

« PLUIE POURRIE, NOEL TRISTE, Joe Strummer est parti, nous n’avons plus de futur ni de no futur. Abattu, j’ai tout de suite écouté London Calling, en pleurant. Avec Jean Loup, nous l’avions photographié au festival punk de Mont de Marsan en Août 77.
Joey et Dee Dee Ramone, Frank Tovey, Joe Strummer disparus
en 2002.
C’est vraiment trop con le vertige d’un dernier pogo fatal au détour
des cinquante ans » (extrait de Le bar de la plage).

Tout est dit, de manière aussi évidente, puissante, simple et bouleversante que dans une de ses œuvres. Et, on vous le jure, ce n’est même pas de la popagande.

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