EMMANUELLE VILLARD. SOPHIA LOREN ?

Le jury du 62ème festival de Cannes vient de décerner la Palme d’Or à Ruban Blanc de l’excellent et très Boltanskien (tendance Batailliste) Michael Haneke. Cela laisse, comme tous les ans, beaucoup de films sur le carreau, de pourtant grande qualité, tel qu’en son temps (1955) L’Oro di Napoli de Vittorio De Sica. Un hommage glorieux à la démesure simplicité de Naples, l’extravagante et majestueuse populaire italienne. Bref, un hommage, à la Mafia, au peuple, à la pizza, au tempérament, au soleil et aux... linges qui sèchent entre deux immeubles. Et ce n’est toujours pas devenu un cliché....

emmanuelle villard



Anaïd Demir évoquait dernièrement l’oeuvre
Money Box de Gianni Motti à la Ferme du Buisson : 7 000 billets d’un dollar exhibés et pendus, mis à sécher, inaccessible tentation. Alors que Motti transforme l’art en argent, rend le quotidien (ou presque...) intouchable, Emmanuelle Villard transforme l’argent en art et offre l’inatteignable à portée de main. L’artiste tend elle aussi ses toiles colorées comme du linge flottant à l’absence de vent d’un intérieur de centre d’art.

L’exposition Folding Screens que l’artiste présente à La Maréchalerie de Versailles jusqu’au 18 juillet 2009 rassemble sans aucun doute tous les reproches et poncifs que l’on peut adresser au travail d’Emmanuelle Villard. Déjà vu ou fait (les ruptures châssis / toiles Supports / Surfacés), la prédominance décorative (paillettes et perles remplacées ici par l’harmonie colorée, les effets miroitants de la peinture) d’une approche presque féminine de l’art (quelle horreur : séductrice ! Comme Beatriz Milhazes…), la répétition formelle, etc. Oui, vous trouverez tous cela dans ces immenses toiles pendant de câbles d’acier tendus dans l’espace d’exposition ; mais honnêtement, soit vous êtes un esprit chagrin, soit vous vous êtes perdus sur la route menant au Château, temple du classicisme. Car Emmanuelle Villard propose, dans un espace pas évident, une exposition parfaitement réussie. Entre la peinture et l’installation, son oeuvre nous amène vers des contrées balisées mais inconnues. Si l’on souhaitait filer la métaphore cinématographique, on dirait, dans une attitude mielleusement indigeste, que Villard tend ici des écrans pour nos projections intimes. Oui, c’est mauvais, mais c’est vrai. Les toiles envahissantes, le contact physique inhabituel qui s’établit avec le spectateur, l’aspect labyrinthique (Shining es-tu là ?) font de ces « paravents » des possibilités de dévoilement d’une intimité, non pas de l’artiste elle-même, mais, dans un rôle spéculaire (Alice es-tu là ?), celle du spectateur. On ne se perd pas dans ce dédale de toiles mais l’on est pas non plus dans un environnement rassurant. L’absence de visibilité crée des phantasmes (voire des fantasmes) et dérive vers des contrées légèrement « surréalisantes ». Une entrée dans l’œuvre mais tendance Pistoletto. Ce qu’il faut voir surtout, c’est tout ce qu’on ne voit pas. L’œuvre est admirablement construite et amorce un parcours vers la lumière tout en subtilité. Jeu des couleurs, des hauteurs, de la matérialité de la peinture, des connexions et interactions de la bi- et tri- dimensionnalité (recto / verso et vice / versa), tout est élégamment proposé, sans préciosité (ça y est, vous vous rendez enfin compte que vous n’êtes pas dans le Château…). Les dégoulinures, projections de bombes aérosol apparentes, toiles non finies d’être peintes, démontrent l’habileté de l’artiste à comprendre les codes et à doser minutieusement les effets et confrontations fini / non fini / infini, les tensions brut / lissé, etc / etc.

Emmanuelle Villard

Elle réhabilite délicatement le pouvoir esthétique en perpétuant sa vision de débordement pictural mais sur un autre mode. Elle se renouvelle dans la continuité et construit patiemment son uni(ci)té. Il y a, enfin, un aspect terriblement réjouissant à pouvoir braver l’interdit, refuser la sacralité, et toucher la corporéité de l’œuvre peinte. Certes, ce n’est pas comme frôler la corporéité de Sophia Loren, l’héroïne de L’Oro di Napoli, mais c’est déjà pas mal…

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