NOUVELLE SCÈNE FRANCAISE : ATTENTION, FRAGILE

Néo-Arte Povera, Art Pauvre, Pauvre de Nous, Bricolo-à-brac, Essentialisme, Minimalisme Révolté, Art de Crise… Et si nous assistions à une réelle tendance française, l’émergence d’un mouvement, d’une attitude plutôt, comme nous n’en avions plus connu depuis un bon bout de temps ?... Et tant pis des qu’en dira-t-on ?

mathilde du sordet arte povera



Pas besoin d’être expert en art contemporain, de courir les vernissages et grandes foires internationales ou d’être un critique avisé pour se rendre compte que la France manque, quelque peu, de reconnaissance sur la scène de l’art contemporain mondial. Peut-être est plus subtil, mais pas moins réel, le léger sursaut actuel et une prise de conscience qui, une fois la situation (difficilement) acceptée, met en œuvre une politique de soutien, publique et privée. Seulement voilà, on veut bien soutenir, mais il faut voir ce qu’on nous propose : être défenseur de l’art contemporain français à l’heure actuelle, et surtout sur les jeunes générations d’artistes, n’est pas toujours chose aisée….
S’il faut bien pousser les gros devant pour qu’ils tirent ceux de derrière, et qu’ils cessent également de leur faire de l’ombre, il faut aussi aider les derniers arrivés à sortir de terre. Seulement, il ne faut pas pousser trop fort, car tout cela est bien fragile. Surtout pour cette tendance « lo-fi ».

Pour prendre quelques exemples concrets et récents (même si Paris ne représente pas la globalité de l’art contemporain français, il en est quand même l’immense miroir, l’épicentre (encore) incontournable) : Mathilde du Sordet présentait en mars dans un module du Palais de Tokyo « Un ensemble » et l’on ne peut trouver mieux comme titre. Assemblage de matériaux pauvres en équilibre, signe de précarité idéologique sous fond de poésie. Et elle n’est pas la seule. La galerie LHK enchaîne avec l’exposition LHK18 regroupant deux représentants du mouvement : Sylvain Rousseau travaille sur la platitude, l’espace, l’appauvrissement, la déception visuelle mais avec fraîcheur et humour démontrant une certaine maîtrise conceptuelle. Stéphane Vigny joue plus sur le quasi ready-made et le faux. Le tout donne tout de même un sentiment de malaise, pas tant une malhonnêteté intellectuelle qu’une frustration violente et volontaire.

sophie bueno boutellier arte povera

Et que dire des vitrines que sont devenues le Prix de la Fondation Ricard et Antidote, l’exposition de la Galerie des Galeries (Lafayette) ? Judicaël Lavrador, commissaire du Prix Ricard, présentait un quasi-manifeste avec « l’image cabrée » de cette tendance. Destruction ou récupération de l’image, retraitement et manipulation laissent le champ libre à des créations telles que celles de Sophie Bueno-Boutellier (agencement de matériaux bruts, peintures de toiles pliées jusqu’à la disparition de l’œuvre, non dans sa matérialité mais dans sa profondeur : un « what you see is, unfortunately, what you see ») ou encore Oscar Tuazon (idem, voir ci-dessus), Etienne Chambaud (idem), Jimmy Robert (id.), etc.
Et Antidote 5 d’enchérir, enfin, d’appauvrir. Comme un symbole, les deux expositions partageaient 5 des 10 artistes présentés (!) : Bueno-Boutellier, Chambaud, Geffriaud, Robert, Rodzielski. Quand on vous dit qu’il se passe quelque chose…. Si l’on ajoute à ce détail que parmi cette liste d’élus, Geffriaud, Tuazon, Chambaud, Rodzielski ont fait les modules du Palais de Tokyo en l’espace d’un an, on se dit, qu’au-delà de la simple coïncidence, il n’y a pas complot mais forte convergence d’idées… ou de non-idées si l’on ose imaginer que les divers commissaires ne souhaitent pas prendre de risques, sous couvert de tous, « découvrir », et soutenir la diversité de la jeune scène française…. Mais personne n’ose imaginer une chose pareille, évidemment… La preuve, la Galerie Edouard Manet de Gennevilliers (bien connue pour son talent de précurseur (?)...) lance « Sauvagerie Domestique » avec Oscar Tuazon (!), Gitte Schäfer et Gedi Sibony dans les rôles de la génération Castorama / Emmaüs, en version internationale. Et si la France faisait école ?

gedi sibony arte povera

Alors certes, des similitudes formelles se créent avec ce nouveau courant et son homologue italien des années 1960. Mais on peut difficilement y retrouver la dénonciation politique, le mysticisme brut ou la réaction avant-gardiste de nos amis transalpins. Et tant pis. Ou tant mieux. Il serait en effet inutile, voire inintéressant, de reproduire à l’identique un mouvement théorique passé et, malheureusement, sacralisé (donc mort). Il est donc nécessaire et vivifiant que ce néo-mouvement soit libéré de liens qu’il ne revendique d’ailleurs pas. Il n’est sans doute pas même un mouvement conscient. Plutôt une sorte de réaction au Zeitgeist français. Tous ces artistes ne sont évidemment pas à mettre sur un pied d'égalité, ni sur un piédestal. Ils ne partagent pas les mêmes pratiques ni les mêmes constructions conceptuelles ; et échafaudent des résultats plus ou moins heureux. Mais ils tendent tous vers une approche visuelle déceptive similaire et une démarche peu interventionniste (peut-être pourrait-on faire un peu de place au couple Lamarche-Ovize si on se serre un peu ?... Mais attention de ne pas tout faire tomber !).
On se retrouve dès lors un peu comme les assemblages hétéroclites des constructions légères de ces oeuvres : en équilibre. En équilibre entre le plaisir de voir émerger un courant français cohérent et de relative ampleur et la déception de voir le courant en question. On va (encore) dire qu’il semblait plus facile de soutenir les avant-gardes américaines post-45, la peinture allemande ou les YBA... Mais comment ne pas se faire taxer une fois de plus d’intellectualisme à la française, avec un mouvement anti-esthétique et manquant cruellement de puissance et de grandeur ? Autant dire un étendard tricolore monté sur une allumette (une idée d’oeuvre ?). Pire, sur une allumette mouillée.

de haut en bas :
Mathilde du Sordet, Totem-Echelonne, 2009. Courtesy de l'artiste.
Sophie Bueno-Boutellier, Untitled, 2008. Courtesy de l'artiste.
Gedi Sibony, Side Show Side Show, 2008. Courtesy de l'artiste.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire