LET YOUR BLOODLINE FEED MY YOUTH

Conséquences de la grève des scénaristes de l’année dernière, calendrier remodelé par la chaîne, métaphore de l’air du temps chaotique et des envies de meurtres associées, toujours est-il que Canal + met en avant en ce début d’année la (très bonne) série Dexter par un plan média d’envergure. Alors, bon nombre d’entre vous découvrent la saison 2, avec un an de retard déjà, de cette série étrange qui suit les déambulations et questionnement d’un serial killer de tueurs pour faire simple. Plus étonnant encore, son métier d’analyste de traces de sang, branche de la médecine légale, existe réellement. Pas franchement le métier auquel on pense en sortant du bac.... Projections, tâches, coulures de sang sont décortiquées et interprétées afin de révéler leur signification profonde. Exactement ce que l’on vous propose au menu aujourd’hui....

joachim blank coulure



Disons que l’on se restreindra dans un premier temps à tout ce qui coule, bave, dégouline, glisse, traîne, se répand et fuit. Différents cas de figure se présentent alors dans la récupération plastique de la coulure. Le premier apparaît comme la manifestation d’une gestuelle qui met le vivant au cœur même du processus.
La coulure est à la limite du trait inconscient, proche de l’éclaboussure. Les véhémences picturales du malheureusement encore sous-estimé Georges Mathieu sont l’exemple le plus flagrant de ces débordements entre maîtrise et rupture, conscience et aspiration divine. La liquidité de la peinture associée à la fureur du mouvement crée des projections comme preuve tangible, comme empreinte du peintre. La coulure se transforme peu à peu en signature, en signe distinctif. A l’instar des tags, la coulure devient la dénomination de l’artiste. Dans ces cas limites, on trouve des artistes tels que Jon One dont l’accumulation dégoulinée de tags sur la toile mixe les genres et transcende les distinctions au sein même de la peinture. Les ruissèlements de Joyce Pensato sont devenus une marque de fabrique distinctive. Appliqués sur les héros de Walt Disney (Donald, Mickey, Pluto…) entre autres, le traitement des coulures apportent une projection sentimentaliste à des figures dont on renverse les valeurs et connotations associées. Le traitement est esthétiquement très beau, le fond est plus contestable. La coulure est ce qui rend vivant la peinture, un moyen de rébellion envers les procédés de reproductions mécanisées, les nouveaux médias, la déshumanisation et la distanciation prise depuis les conceptuels et reconduite jusqu’à nos jours. Dans cette grande famille des « couleurs », on trouve des peintres peu soigneux : les abstractions fait main de Todd Chilton, les délicates coulées sur fond d’architecture inventée et de structuralisme pictural parfaitement exécuté de Christian Hellmich, les transpositions émotives du dégoulinant chez Marc Desgranchamps. Il y a aussi les conscients volontaires de la dégradation : les stries coulées de Rosson Crowe accentuent le sentiment de mal-être et le caractère dérangeant de très belles compositions. Dans la catégorie des maîtrisés, Dirk Skreber pose avec délicatesse de longues lignées de peinture qui viennent perturber la lecture première de ces toiles et introduisent une part d’abstraction surnaturelle dans la figuration. Pour Bruno Peinado, c’est la goutte qui vient faire déborder le vase du rendu lisse et donne à ses pièces un contrepoint vibrant et direct.

Parallèlement à cette pénétration de la coulure, constitutive ou rajoutée, au sein d’œuvres préexistantes, d’autres artistes ont opté pour l’utilisation de la coulure comme œuvre à part entière, indépendante ou prédominante. Savoir si c’est Ernst, Masson ou d’autres qui ont inventé la technique du dripping n’a absolument aucune importance. Ce qu’en a fait Pollock relève du miracle. Il est cependant certainement réducteur de traiter l’œuvre démoniaque de l’artiste américain comme une simple coulure. Il est plus proche de la projection meurtrière. Les grandes toiles étincelantes de John Armleder sont de meilleurs exemples des possibilités qu’offre la coulure en tant que telle. Les Pour Paintings sont d’immenses cascades de peintures pailletées, métallisées, irisées qui se mélangent et s’entrechoquent sur des toiles oblongues verticalement installées. Icon Tada crée de fausses dégoulinures mathématiquement développées et numériquement tirées. L’accident se décide, se dompte et se pose en élément décoratif. Si Christian Achenbach mêle à ses débordements colorés de filets de peinture des éléments figuratifs souvent naïfs, il n’en demeure pas moins que ce sont les coulures qui font la force de ses peintures. Dans des œuvres telles que Plaza, 18 carrots ou Rock me Move me, Jim Lambie fait de ces giclées grossières de peinture l’élément perturbateur et central du détournement d’objets quotidiens. Le mélange d’humour et de tension fait de ces œuvres des démonstrations de force de la conceptualisation du médium peinture dans le champ de l’installation. On peut signaler que Lucas Ajemian dans UT a repris le même principe et procédé que Rock Me Move Me, remplaçant simplement le matelas par le vinyl de Master of Reality de Black Sabbath (et « Kleinisant » le bleu utilisé...). Cela ne l’empêche pas cependant d’être un très bon et prometteur artiste, seul ou avec son frère Jason.

Enfin, un troisième champ d’expérimentation pourrait être envisagé avec les coulures qui se détachent de leur picturalité et acquièrent une dimension supplémentaire, la troisième en l’occurrence. Le père fondateur de ce mouvement est le démesuré Robert Smithson avec deux interventions magnifiques : Asphalt Rundown en 1969 et Glue Pour en 1970. Si la définition des interventions est dans le titre, les conséquences de ces dernières sont illimitées. La transformation de la terre même est un acte grandiose dont les répercussions ne sont que ce que l’art doit attendre et atteindre. Bref, c’est beau, fort, intelligent, multiple, sensible et esthétique : un joli coup (de maître). Les Expansions de César Baldaccini sont des déversements de polyuréthane simulant la peinture, traitant de manière sculpturale la coulure, figeant l’extension, brisant le mouvement, maîtrisant l’immaîtrisable. On pourrait également évoquer le cas de Joachim Blank dont la série des Black Rain défie les limites de la peinture/sculpture/installation. Découpant dans des panneaux de bois les formes de coulures de peinture, il glisse ensuite une plaque de plexiglas noir derrière sa découpe et reproduit ainsi une illusion de dégoulinure. C’est la tradition du trompe l’œil, de la reproduction de la nature, de la réalité feinte qui se retrouvent ensemble dans cet assemblage minimaliste parfait. Si le résultat est superbe, il est également conceptuellement élégant. La coulure atteint un statut quasi iconique mis en exergue par la création technique de sa réalisation.

dirk skreber,art coulure

Symbole du mal fait, du vite fait, du sale, la coulure a acquis peu à peu un statut de signe rebelle, révélant, soit par sa maîtrise, soit par sa liberté, un pouvoir esthétique mûr et troublant. Et si vous nous dîtes que, de tels barbouillages, votre enfant en fait autant, c’est promis, on vous envoie Dexter…


Let your bloodline feed my youth

Consequences of the scenarists strike last year, restructured calendar by the TV channel, metaphor of the chaotic current mood and linked murder wishes, well, Canal + points out now the (very good) Dexter series with an ambitious media planning. So, a lot of spectators discover the second season, one year late, of this strange series and follow the wanderings and questionings of a serial killer of killers to sum up. More astonishing, his job, blood spatter analyst, a sector of legal medicine, does exist. Not really the kind of job you’re thinking about when you’ve got your diploma…. Projections, stains, blood drips are dissected and interpreted to reveal their deep significations. Exactly what we offer you at the carte today…

Let’s say that we’re going to restrict firstly to the things that pour, run, drip, slide, drag, spill and leak. The artistic recuperation of the drip can take different forms. The first one is the manifestation of a body language, putting the living at the heart of the process. The drip is close to the unconscious line, the spatter. The pictorial vehemence of the unfortunately still underestimated artist Georges Mathieu is an obvious example of this outflanking between mastership and rupture, consciousness and divine aspiration. The painting liquidity added to furious moves create projections as tangible proofs, as painter footprints. The drip turns itself to signature, a distinctive sign. Following the example of tags, the drip becomes the artist denomination. On these limit cases, we find artists like Jon One whom accumulated trickled tags on canvases mix genders and transcend distinctions of paintings. Joyce Pensato’s streaming became a distinctive trademark. Applied to Walt Disney heroes (Donald, Mickey, Pluto…) among others, the dripped treatments bring a sentimental projection, reverse values and associated connotations to characters. If the result is aesthetically very beautiful, the meaning is more questionable. The drip makes the painting living, it’s a possibility to rebel against mechanized reproductions processes, new medias, dehumanization and detachment adopted from conceptual artists to today. Concerning the great family of drippers, we have untidy painters: the handmade abstractions by Todd Chilton, the delicate drips on invented architectures backgrounds and pictorial structuralism perfectly executed by Christian Hellmich, the emotional transpositions of the trickles by Marc Desgrandchamps. We have also the voluntarily conscious of the deterioration artists: the poured streaks of Rosson Crowe accentuate the ill-at-ease feelings and the disturbing nature of really amazing compositions. On the mastered category, Dirk Skreber tactfully puts long lines of paints that interfere with the first reading of his pieces and introduce a part of supernatural abstraction into figuration. For Bruno Peinado, the drop stains the smooth finish and give to his works a vibrating and direct counterpoint.

Parallel to this drip penetration, constitutive or added, into preexisting pieces, other artists opted for a use of drip as full work, independent or predominant. We don’t care to know if Ernst, Masson or somebody else is the one who invented the dripping technique. What Pollock did with it is an absolute miracle. But it’s certainly reductive to consider the demoniac work of the American artist as a simple drip. It’s much more closer to a bloody projection. Great sparkling canvases by John Armleder are better examples of the possibilities offered by the drip by itself. The Pour Paintings are huge cascades of sequined, metallic, iridescent paintings mixed and clanked on vertically installed oblong canvases. Icon Tada creates fake drips mathematically developed and numerically printed. The accident is decided, overcame and put as a decorative element. If Christian Achenbach adds excessively colored paint trickles to figurative and almost naïve elements, the drips remain the main component and give strength to paintings. On Plaza, 18 carrots or Rock me Move me, the crude squirting of paints by Jim Lambie is the disruptive and central element of his embezzlement of every day objects. By mixing humor and tension, his works become a complete demonstration of the conceptualization of painting into installation domain. Lucas Ajemian on UT takes identical principle and process to Rock me Move me, exchanging the mattress with Black Sabbath’s Master of Reality vinyl (and putting Klein into the used blue…). Let’s say that it does not prevent him from being a very good and promising artist, alone or with his brother Jason.

Finally, a third experimental field could be analyzed: the drips that detach themselves from their pictorial position and acquire a new dimension, the third one. The Founding Father of this movement is the outrageous Robert Smithson with two brilliant interventions: Asphalt Rundown on 1969 and Glue Pour on 1970. If the definitions are on the titles, the consequences are unlimited. Earth’s transformation is a grand gesture and repercussions are what art should be waiting for and reach. To sum up, it’s beautiful, strong, clever, multiple, sensitive and aesthetic: a nice (master) stroke. Cesar Baldaccini’s Expansions are discharges of polyurethane simulating paint, treating drip on a sculptural way, fixing the extension, stopping the move, mastering the uncontrollable. We could also mention Joachim Blank and his Black Rain series that defies painting/sculpture/installation limits. He cuts shapes of paint drips on wood panels, then slide a black Plexiglas plate behind his cut to reproduce an illusion of dripping. He gathers trompe-l’oeil tradition, nature imitation, fake reality on a perfect minimalist collection. The result is magnificent and conceptually elegant. The drip almost reaches an iconic status underlined by the technical creation of its realization.

Symbol of badly and quickly done, of dirtiness, the drip became a rebel sign revealing, by its mastership or by its freedom, a disconcerting and mature aesthetical power. And if you say that, such a daubing, your kids do the same, promise, we send you Dexter…

1 commentaire:

  1. Un manière d'aborder le propos coulant !

    Des references à vos exemples, de nouvelles voies et mieux encore...! ;)

    http://coulure.free.fr/blog

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