MICHAEL JACKSON - (TOO) BAD (PART 2/2)

Cela fait maintenant plus de quatre mois que Michael Jackson est mort, et vous êtes sans doute, comme l’ensemble des médias, déjà passés à autre chose de presque aussi croustillant… pas nous. L’hommage sera à la taille de l’idole ou ne sera pas… et il sera : la preuve.

slater bradley michael jackson



Le passage à la postérité que l’on évoquait, signifie donc qu’il y a traitement iconique, une dimension exacerbée chez Jackson qui n’a pas échappé aux artistes. Chris Ofili dans
Afrodizza le place parmi un aréopage de célébrités noires, perpétuant son combat et pointant un des (nombreux) paradoxes de Michael Jackson : blanchiment contre culte de la communauté noire comme figure émancipatrice. A l’instar du clip de Earth Song, le héros devient divinité à part entière, capable de renverser l’ordre du monde. Plus rien n’est impossible. Dans cette même acception tragique du héros grec, Paul Pfeiffer dans Live from Neverland le confronte au chœur antique : frappé d’hubris, notre instigateur risque la nemesis divina… ou la justice humaine, c’est à voir. Dans Live Evil, toujours de Pfeiffer, ce sont les exploits du héros qui sont contés, mais pris sous les feux du mal possible. Comprendre le fonctionnement de l’icône dans la société post-industrielle américaine, telle était l’enjeu du Michael Jackson Project d’Edgar Arceneaux et Rodney McMillian. Voyage quasi initiatique jusqu’à Gary dans l’Indiana, sur les traces du petit Michael, et tentative désespérée de comprendre, analyser, décortiquer, autopsier la carrière d’un phénomène qui échappe au possible. Retour à la totémisation et au fétiche avec Terence Koh dont la sculpture à l’effigie de la pop star navigue entre primitivisme, décalage culturel et ironie : le chocolat qui recouvre la construction blanchit avec le temps. L’art rattrape la réalité et inversement.

On le sent bien, l’icône Jackson est un géant aux pieds d’argiles, il en faut peu pour faire choir de son piédestal l’inventeur du moonwalk. Fragile et éphémère comme du scotch d’emballage utilisé par Kuhl & Leyton dans un portrait tristement sincère et fidèle à sa solitude (Michael Jackson Busted). Mark Flood souligne l’anomalie physique de M.J. et le conforte dans une image d’extra-terrestre sympathique (Michael Jackson & E.T.), une relecture a posteriori de l’histoire. Sur la même image, Donny Miller est plus dur et direct avec Alien Vs. Predator. Ken Kagami en fait une marionnette désarticulée, abandonnée, près de Bubbles, entre Rondinone et McCarthy, la métaphore étant on ne peut plus évidente et symbolique quant au traitement réservé à l’ancienne gloire déchue de ces dernières années. Pour Cameron Jamie, il est un catcheur endiablé et élégant dans une vidéo où l’humour traverse une humanité retrouvée chez la star, mais dans un contexte toujours empli d’apparences et de simulacres. Chez Banksy, il est la sorcière, l’entité effrayante des contes d’enfants, le mal attirant et piégeant les enfants. Pas besoin de préciser à quels événements tout ceci se rapporte. Le syndrome Peter Pan qui a parcouru la vie du danseur émérite s’est noyé peu à peu dans une imagerie plus proche de Road Dahl et Tim Burton que de Walt Disney. Un retour aux sources des contes originaux finalement et à leur cruauté perverse.

Enfin, et comme la relation que nous avons construite avec Michael Jackson est avant tout celle du fan à la star, la mise en lumière de cet aspect du génie charmeur des foules paraissait indispensable : tout le monde a un fan de Jackson assoupi (ou mort) au fond de lui. Candice Breitz offre une part de rêve aux fans de Bambi dans King (a portrait of Michael Jackson) en leur donnant la possibilité d’enregistrer les morceaux de la star dans des conditions professionnelles. L’empilement a cappella des résultats n’est pas un cadeau pour nous mais offre une vision singulière de la place du fan dans la relation qu’il tisse à son objet d’adoration. Evan Roth demande la participation de la fanbase afin de retrouver et d’isoler les apparitions sur Billy Jean de son fameux gant blanc. L’aspect fétichiste s’associe au dévouement et apporte un trouble dérangeant dans la lecture neutre première. Don’t stop till you get enough est une vidéo de Jordan Baseman dans laquelle on voit défiler des dessins de fans accompagnés d’une bande son d’imitateurs et sosies qui narrent leur expérience d’incarnation ponctuelle et de danse frénétique. Entre possession et vaudou, la magie blanche devient noire et donne un aperçu du vertige qu’il peut y avoir à se pencher sur l’enfer derrière l’écran de fumée de la gloire. Alors que l’excellent Slater Bradley rejoue à l’identique une performance de Michael Jackson, réintroduisant la théâtralité et le spectacle dans une sincérité contestant la véracité des images, Harmony Korine dans le film Mister Lonely lui rend un hommage aussi pathétique que touchant. Meredith Danluck, considérant Jackson comme faisant parti de la trinité pop-culturelle avec Jésus Christ et Coca Cola élabore, dans Michael Jackson, Jesus Christ… Coca Cola (on vient de vous le dire) une réflexion sur le culte rendu à la star, le système de valeurs qu’il engendre et le décalage entre son passé, son présent, et sans doute, son futur. De la commercialisation à l’extrême à l’adoration aveugle, Danluck laisse apercevoir la déshumanisation de celui qui semblait désespérément se raccrocher à une humanité fuyante et pourtant dangereuse comme une autodestruction.

Peut-être faut-il terminer sur la très belle image de Michael Jackson Motown Records 71 de Russell Young (et Henry Diltz par ailleurs) pour rappeler le chemin hallucinant parcouru par ce génie en culottes courtes. Car non, très sincèrement, il ne nous semblait pas indispensable de conclure en parlant des rares dessins de Michael, de qualités plus que discutable, passés en vente lors de la liquidation de Neverland… oups ! trop tard.

candice breitz michael jackson

Michael Jackson est définitivement le musicien de la transcendance. Il est le seul à avoir ainsi franchi toutes les frontières, sexuelles, raciales, culturelles, et pénétré la sphère de l’art en demeurant une icône mondiale et populaire. Une incarnation d’un Pop Art réussi et conscient de lui-même et de ses dérives. Une vie en forme de Dangerous History mais la seule capable de lui assurer une place parmi les immortels (sans être membre de l’Académie Française… décidemment, la classe, jusqu’au bout). Et comme disaient les Sex Pistols, la seule question qui reste désormais est : « Who killed Bambi ? ». Attention, la réponse peut faire vraiment très peur….

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