JEFF KOONS : YESTERDAY AND TODAY OU L'ÂME DE STUART SUTCLIFFE

Yesterday and Today. Hier et aujourd’hui. Bien sûr, la présence des œuvres de Jeff Koons dans le décor classique du Château de Versailles est ressentie comme la confrontation de l’ancien et du contemporain. Un travestissement, un choc stylistique, une anomalie visuelle. Ce serait comme voir les Beatles poser déguisés en bouchers, couverts de poupées démembrées et de morceaux de viandes, riants de ce décalage absurde. Ce serait comme voir la pochette de… Yesterday and Today.

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"Si les Beatles avaient crée des sculptures, elles ressembleraient à ce que je fais aujourd'hui". Par cette comparaison, Jeff Koons introduit la notion de bipolarité dans son travail, cette faculté de dédoublement qui permet de démultiplier les angles de lecture et qui fonctionne à merveille dans le cadre de l’exposition « Jeff Koons – Versailles » (y a-t-il eu une réunion pour déterminer un titre aussi…. percutant ?). Une fois de plus, la semi-boutade lancée par Koons n’a rien d’anodine. En effet, lorsque Capitol s’est rendu compte de l’invraisemblance de cette pochette pour le marché américain et des possibles répercussions désastreuses sur l’image et le public des Beatles, le label décida tout simplement de coller une nouvelle couverture (quatre Beatles sagement arrangés autour d’une malle de transport) sur l’ancienne. On ne peut pas faire plus direct dans la superposition des couches de lecture d’une œuvre. De manière identique, à la provocation immédiate de la série
Made in Heaven, Koons a modifié sa stratégie, l’a décalée pour s’immiscer plus insidieusement dans le marché. Cela passe notamment par un travail sur l
a surface, une des composantes majeures du travail de Koons. Balloon Dog, Louis XIV, Balloon Flower, pour ne citer que les plus évidentes, toutes d’acier vêtus.

Lorsque McCartney compose Yesterday (la chanson la plus reprise au monde, un phénomène qui mériterait d’être analysé….), il a tellement le sentiment de déjà la connaître (il déclare d’ailleurs l’avoir « rêvée »… à prendre dans quel sens ?) qu’il s’inquiète et enquête dans son entourage pour retrouver l’originale. « Au bout d’un mois, je me suis dit que si personne ne la réclamait, je la considèrerais comme mienne ». Il agit ainsi comme s’il s’agissait tout simplement d’un ready-made musical. On retrouve le même sentiment de déjà-vu chez Koons et pourtant tout son travail n’appartient qu’à lui, tant il lui est profondément rattaché. Des artefacts de ready-mades font aussi de vrais œuvres d’art : Lobster, Jim Beam – J.B. Turner Train ou le déjà signé Ushering in Banality. Jeff Koons c’est le faux, le paraître, comme les photos de presse avec Rabbit ou Moon dans lesquels se reflètent des décors de galeries et d’ateliers à l’envers, puis artificiellement incorporés dans leur lieu de future villégiature….

La dialectique de l’argent est au cœur du travail de Jeff Koons. Ses prix font plus parler que la qualité de son travail et nombreux sont ceux qui oublient ce qui a fait l’intérêt et la réputation de ce géant américain. Un problème monétaire qui permet de déplorer l’absence d’œuvres inédites à Versailles alors que l’œuvre la plus récente est Chainlink, une réactivation d’une pièce de 2002. Comme un symbole inversé, Yesterday and Today est le seul disque déficitaire de l’histoire des Beatles chez Capitol. Le prix de la honte a coûté cher à camoufler.

Sur le fini parfait de Michael Jackson & Bubbles dans le Salon de Vénus ou Pink Panther dans le Salon de la Paix, Koons laisse glisser les sarcasmes et revendique par la même une position teintée d’un humour féroce, souriant à la face d’une réussite insolente. Un humour noir qui transparaît également dans Yesterday and Today, telle une caractéristique parfois méconnue des Beatles. Si la photo est en partie due à Robert Whitaker qui souhaitait mélanger Bellmer, Oppenheim et le surréalisme dans son ensemble, les Fab Four sont bien plus virulents que leurs visages polis laissent paraître.

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Lennon déclarait d’ailleurs à son sujet que « la pochette de Yesterday and Today est aussi pertinente que la guerre au Vietnam ». Un Lennon décidemment toujours aussi délicat dans ses déclarations. Koons sait lui aussi mettre les pieds dans le plat sans se les prendre dans le tapis. Provocation et courage. Deux mots qui sont sans doute à mettre également au crédit du Château de Versailles qui, en dehors de toute palabre politicienne ou économique, a eu la bravoure de mettre Koons devant tout autre chose, avalant le reste, effaçant les trésors qui l’accueillent. Pas d’intégration, plutôt une désintégration du lieu, un parasitage (y compris pour le camouflé Large vase of Flowers dans la Chambre de la Reine) qui fait du bien par rapport au bien fade et habituel « white cube ». Une mise en valeur allant jusqu’au cartel de taille équivalente.

Les vitrines autour des œuvres, à l’instar des coupes au bol de John, Paul, Ringo et George, peuvent faire regretter leur présence. Elles gâchent quelque peu l’appréhension des pièces et induisent une prise de distance inutile…. Couvrent-elles la peur d’un attentat ? Les mêmes réserves quant à un accrochage parfois un peu trop didactique (Bear and Policeman dans le Salon de la Guerre, New Hoover Convertibles dans l’Antichambre du Grand Couvert) mais qui a le mérite d’expliciter au grand public les confrontations désirées.

Comme Split Rocker, Jeff Koons est un monstre à deux faces…. ou plutôt a deux faces de gentil monstre. Mi-Dino, mi-Poney, 100 000 fleurs sentent bon, trop bon et le parfum enivre jusqu’à l’aigreur, couvre les relents de violence, endort l’attention. Jeff Koons a modelé un personnage et s’est construit dans un parfait mimétisme à son œuvre, et non l’inverse. Lisse, sur lequel rien n’adhère, propre sur lui et sûr de son discours, il ne laisse rien lui échapper. Profond, il se regarde être un des artistes majeurs de notre époque (Self-Portrait dans le Salon d’Apollon) et se sait maître des stratégies et des théories artistiques qu’il a nettement contribué à révolutionner. Lisse comme le sourire de Lennon sur la « butcher cover », assuré de sa place au Panthéon des révolutionnaires musicaux, laissant une empreinte indélébile dans la culture occidentale. Adulés par les foules, admirés par les connaisseurs, les deux monstres sacrés ont planifiés de main de maîtres le retournement des valeurs de la société contemporaine.

Si l’on rajoute que cette première rétrospective d’envergure de l’œuvre de Koons en France, se déroule du 10 septembre au 14 décembre 2008, à Versailles, ville du premier concert français des Beatles, la boucle semble bouclée. Alors, est-ce que les Beatles auraient crée des sculptures analogues à celles de Koons ? Disons plutôt que les sculptures de Koons sont à l’image des Beatles, que les deux entités ne font qu’une, pervers dans leurs superficialités, obscurément profondes dans leurs implications, universelles dans leurs apparences de simplicité.

En résumé, Jeff Koons à Versailles ? Une jolie boucherie….


JEFF KOONS: YESTERDAY AND TODAY OR STUART SUTCLIFFE'S SOUL.

Yesterday and Today. The works of Jeff Koons exhibited into the classical decor of the Versailles Palace obviously come as a shock between former and contemporary style. A travesty, a stylistic collision, a visual anomaly. Like The Beatles posing, dressed up as butchers, covered with dismembered dolls and meat chunks, and laughing at this absurd situation. Like the cover of…. Yesterday and Today.

“If the Beatles had made sculptures, they would probably look like mine”. Koons introduces, by this comparison, the notion of bipolarity into his work, his faculty to split and multiply accesses and interpretations. It perfectly fits the “Jeff Koons – Versailles” exhibition (Did they hold a meeting before choosing such a punchy title?). Once again, Koons’ joke is anything but neutral. As a matter of fact, when Capitol Records realized the unlikelihood of said cover for the American market and the possibly disastrous repercussions on the Beatles’ image towards their audience, the record company decided to stick a new cover (four Beatles quietly sat around a steamer trunk) as a replacement for the original. The superposition of work’s reading grid could hardly be clearer. Equivalently, Koons, after his directly provocative series Made in Heaven, changed his strategy and tried to insidiously intrude the market. He notably worked on surface, one of the major components of his work. The steel made Balloon Dog, Louis XIV and Balloon Flower are some of the obvious pieces.

When McCartney composed Yesterday (the most covered song of all times, a phenomenon that should be analyzed…), he was totally convinced that he already knew the song (he declared he’d actually dreamt it). Worried, he investigated and asked that his entourage find the genuine one. “If no-one claims it after a few weeks, then I can have it”. He considered the song as a mere musical ready-made. The same déjà-vu feeling can be found into Koons’ work, even though his work is highly personal and deeply linked to his personality. Ready-made artifacts can be real works of art: Lobster, Jim Beam – J.B. Turner Train or Ushering in Banality, already signed. Jeff Koons’ work is about falsehood, appearance, like the press photographs with Rabbit and Moon in which galleries and workshops upside down views are reflected then artificially put into their future site.

The money dialectic is at the heart of Koons’ work. The prices are more disputed than the quality of his pieces and most people forget what created interest for and reputation of the American giant. This monetary issue deprives the exhibition of new and unseen works. The most recent piece is the reactivated Chainlink from 2002. Like a reversed symbol, Yesterday and Today is the only album the Beatles published for Capitol Records with a deficit. Cover shame costs.

Michael Jackson & Bubbles in the Venus Salon or Pink Panther in the Peace Salon are both perfectly polished. Koons can disregard sarcasms. He claims a position filled up with fierce humor and laughs at his arrogant success. Such a dark sense of humor shows through Yesterday and Today, which contributed to the Beatles’ persona. Robert Whitaker took the cover photograph. He wanted to mix Bellmer, Oppenheim and Surrealism. He also showed that the Fab Four were much more virulent than their polite faces seem to show.

Lennon, always delicate into his declarations, said that the Yesterday and Today cover was “as relevant as the Vietnam War”. Koons knows how to be tactful too. Provocative and brave. These two words are for the Versailles Palace Committee, who accepted bringing Koons upfront, hiding its antique treasures. Despite what politics or critics might think. There is no integration, but a disintegration of the place, an invading strategy (including Large vase of Flowers in Queen’s Bedroom), which is a nice change from the dull “white cube”. Even the cartels are proportional.

The windows protecting the works, like John, Paul, Ringo and George’s haircuts, are definitively not necessary. They spoil the apprehension of the pieces and introduce a regrettable distance. Are they afraid of an art attempt? We can also regret the somewhat too didactic display (Bear and Policeman in the War Salon, New Hoover Convertibles in the Grand Couvert Anteroom) even if it makes comprehension easier for people at large, and specifically concerning wished confrontations.

Like his Split Rocker, Jeff Koons is a two-headed monster… or shows two sides of the same sweet monster. Half-Dino and half-Pony, 100,000 flowers smell good, too good and their perfume intoxicate us with their bitter scent, cover up the violence, put us to sleep. Jeff Koons molded a character and created himself in line with his work, not the other way around. He is smooth, reliable, self-confident, nothing grips him. He is deep, he looks at himself being one of the greatest artist of our time (Self-portrait on the Apollo Salon). He masters artistic strategies and theories that he has clearly revolutionized. As smooth as Lennon’s smile on the “butcher cover”, certain that an honorific place is waiting for him for his musical revolution and his indelible imprint on Western culture. Both are adulated by the crowd, admired by connoisseurs, both are two sacred monsters, having planned with mastery the reversal of our contemporary society’s values.

Let us add that this is the first retrospective of Koons’ work in France, from September 10th to December14th 2008, in Versailles, the city which welcomed the Beatles first French show. The cycle is complete. So, if the Beatles had made sculptures, would they look like Koons’? Well, let’s say that Koons’ sculptures are similar to Beatles’ image, both pervert in their superficiality, vaguely deep in their implications, universal in their appearance of simplicity.

In summary, Jeff Koons – Versailles? A quaint butchery….

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