AES+F : BIENVENUE SUR L'ÎLE AUX ENFANTS... D'OKISHIMA

« Si seulement vos parents


Avaient envie de vivre dans notre île


Tout serait beaucoup plus gai


Et pour chacun la vie serait plus facile »

L’île aux enfants - Christophe Izard

aes+f



Seulement, cela dépend un peu de l’île sur laquelle on vous invite…. L’île aux enfants que nous propose AES+F est en effet
plus proche de celle d’Okishima dans Battle Royale (Kinji Fukasaku, 2000) que de celle de Casimir. Le travail emblématique du groupe d’artistes russes, à savoir des enfants jouant à la guerre dans une véracité dérangeante sur un fond 3D est une parabole pertinente des relations sociales et internationales actuelles. Et n’est pas sans rapports tant avec le drame japonais que, finalement, la série gloubiboulguesque ….

Il est des poncifs qui ont la vie dure. Tous les corps arrêtés dans une pose donnée renvoient inévitablement à la statuaire antique et grecque en particulier (voire plus précisément à l’époque classique de cette dernière pour les plus pointilleux à l’esprit un tantinet chagrin). Les statues de Xavier Veilhan (bien qu’il en joue aussi, les pointilleux ne sont pas tous de mauvaise foi…) renverraient immédiatement aux œuvres de Praxitèle, Phidias & Co., comme les enfants brisés dans leur élan d’AES+F sont des descendants directs du groupe des Tyrannoctones ou du Laocoon (oui, époque hellénistique…). Certes. Mais non. La statuaire a évolué, comme la peinture ou la photographie, et il n’est nul besoin de revenir à des ancêtres (morts) et des références (mortifères) pour justifier de la qualité (ou non) d’un travail. Le point commun le plus évident entre les œuvres d’AES+F et la grande statuaire antique est sans doute leur rapport de contemporanéité aux événements décrits et leur implication dans le champ social et politique de leur époque. L’art n’était pas neutre : il ne l’est toujours pas.

Mais retournons sur notre île. Une île étendue à la taille du monde. Les enfants engagés dans un combat sans vainqueurs ni vaincus, sans goutte de sang versée, sans larmes ni cris, miment un combat de silence, une lutte factice, chorégraphiée. Peut-être jouent-ils seulement ? C’est là le plus troublant. A l’instar du cinéma, l’art d’AES+F crée un monde virtuel effrayant mais dégagé de toute implication documentaire. Plus proches de pubs pour Marithé & François Girbaud ou Calvin Klein que des images d’affrontements militaires (non pas celles de l’invasion de Gaza…. Rien à voir !) diffusés dans une réalité, non immédiate car médiatisée, sur nos écrans de télé. Seulement, comme dans Battle Royale, c’est la décision de mettre des enfants dans des postures d’assassins qui effraie. Il serait intéressant (et long) d’analyser les troubles, la place accordée, l’évolution et le statut de l’enfant dans nos sociétés structurées modernes et son renvoi spéculaire obligatoire dans le champ de l’art. Christian Boltanski apparaît comme une référence assez évidente lorsque l’on évoque l’enfance, sombre souvent. La série The king of the forest d’AES+F offrant le monde comme terrain de jeu à des enfants, cruels ou perdus (comme leur paradis), dominateurs ou orphelins, inquiète et attriste, comme les regards vagues des enfants (artistiques) de Boltanski. D’ailleurs, AES+F dans Suspects (1997), mélangeant 7 clichés neutres de pré-adolescents meurtriers à 7 innocents réactualise (involontairement ?) la pièce Images d’une année de faits divers (1972-73) de Boltanski dont les 408 clichés incorporent les assassins à leurs victimes dans une indifférenciation déstabilisante et salutaire.

Les guerriers de Action half life simulent des combats sur des fonds de « réalité virtuelle » (si tant est que cette expression galvaudée veuille bien dire quelque chose), entre futur qui se dessine, jeu vidéo innocent et présent démoniaque. Car le présent est présent (dans les deux sens du terme… et inversement) dans les œuvres d’AES+F. Les porcelaines de Europe-Europe, montrent les amours incestueux d’opposés politiques, économiques, moraux (Néo-nazi et turc, touriste et enfants thaïlandais, policier et arabe, femme d’affaire et ouvrier…) dans une critique acerbe et violente de nos gangrènes sociales. Dans Islamic Project, ils redécorent les monuments occidentaux à la sauce islamique, demandant à l’Occident d’affronter ainsi sa plus grande peur… Si les engagements politiques du groupe d’artistes interpellent, faut-il lire, en filigrane des problématiques, des liens à leur conscience russe (Ossétie du Sud, Tchétchénie, Géorgie…. ) ou est-ce déjà trop interpréter ? Demeurent-elles alors des pistes à explorer ?

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Il est notable que des corps zombies aux entrailles sorties de Corruption.Apotheosis ou Family portrait in the interior, aux morts recouverts de vêtements de mode de luxe dans Defile, aux images arrêtées et lissées de Last Riot, AES+F a opéré, sur la thématique du corps et de la monstration de la mort, une évolution vers la sobriété, remontant le temps et les échéances du combat à rebours. Si le sang a disparu, la violence est devenue intérieure, souterraine, tue, et sans doute plus bouleversante. Le rajeunissement des mannequins ne laisse plus d’espoirs quant à un après possible. Même les enfants s’entretuent. Alors, oui, Christophe Izard a sans doute raison : il serait peut-être plus facile que les parents viennent vivre, et mourir, sur cette île….


“If only your parents

Wanted to live on our island

Everything would be happier

And life would be easier for everyone”

L’île aux enfants – Christophe Izard

Well, it depends on the island you are invited to.... AES+F’s children island is closer to the Okishima island from Battle Royale (Kinji Fukasaku, 2000) than Casimir one. The emblematic work of the Russian artists group, children playing, acting dramatically realistic warriors on a 3D background is a relevant parabola of actual social and international relationships. It is connected to the Japanese drama and finally, to the children island stuff too....

Some commonplaces are ingrained. Every body stopped on a given pose inevitably refers to the antic statuary and Greek in particular (more precisely to the classic period for the pernickety-minded person). Xavier Veilhan’s statues (even if he plays with that too, all fussiness spirits are not of bad faith) would remind Praxiteles, Phidias & Co., as the children cut short of AES+F would be direct descendants of the Tyrannoctones group or Laocoon (yes, Hellenistic period...). Ok. But no. The statuary evolved, like painting or photography, and there is no need to come back to (dead) ancestors and (mortified) references to justify the quality (or not) of a piece. The main common point between AES+F works and the great antic statuary is undoubtedly their contemporary links to described events and their implication on the social and politic field of their time. Art was not neutral: it is still not.

But come back to our island. An island as big as our world. Children involved in a fight without winners or losers, without blood, tears or screams, mime a fighting of silence, a factice and choreographed struggle. Maybe they are only playing? That’s the most disturbing part. Following the example of cinema, AES+F creates a virtual world, frightening but relieved of documentary implication. Closer to Marithé & François Girbaud or Calvin Klein ads than military confrontations images (we do not mention the ones of Gaza invasion... nothing to see!), broadcasted on a, not immediate because media covered, reality, on TV screens. But, as in Battle Royale, the decision to put children on murderers posture alarms. It could be interesting (but long) to analyze troubles, given place, evolution and status of child on our structured modern societies and its obligatory mirrored return to art field. Christian Boltanski appears as an obvious reference when we talk about, often dark, childhood. The King of the Forest series by AES+F offers the world as a playground to children, cruel or lost (as their paradise), imperious or orphans, worried or sad, like the vague look of (artistic) children of Boltanski. On Suspects (1997), AES+F mixes 7 neutral photographs of pre-teens murderers with 7 innocents and (involuntarily?) updates the piece Images d’une année de faits divers (1972-73) by Boltanski: 408 photographs incorporating murderers and victims on an unsettling but salutary lack of differentiation.

The warriors of Action half life simulate fight on “virtual reality” (if this tarnished expression means something) backgrounds, between future taking shape, innocent video game and demoniac present. Because present is now on AES+F works. Europe-Europe porcelains show incestuous loves of political, economics, moral opponents (Neo-nazi and Turkish girl, policewoman and Arab boy, Tourist and Thai children, Businesswoman and Gastarbeiter...) on a bitter and violent critic of our social gangrene. On Islamic Project, the group redecorates occidental monuments on an Islamic way, asking to Occident to face its greatest fear... If political involvements of the Russian artists question, do we have to interpret them as linked to their Russian conscience (South Ossetia, Tchetchenia, Georgia...) or are we going too far? Are they trails to follow?

We can notice that, from zombies with extracted guts on Corruption.Apotheosis or Family portrait in the interior, to corpses dressed up with luxury clothes on Defile, to stopped and smoothed images on Last Riot, AES+F operated on body and death visual themes an evolution to sobriety, going back time and fight finals backwards. If blood disappeared, violence became interior, underground, silent, and problably more deeply moving. The actors, younger, do not let us hopes to a possible future. Even kids kill each other. So, Christophe Izard is probably right: it would be easier if parents come live, and die, on this island...

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