GAKONA : EXUBÉRANCE MINIMALE

6 oeuvres et c’est tout. Rien de plus à voir. Et encore, les oeuvres elles-mêmes traversent l’exposition dans le silence. Plus encore, le nombre de pièces diminue en avançant dans l’exposition : 3 pour Roman Signer et Ceal Floyer, 1 pour Laurent Grasso et Micol Assaël. Une réduction d’ailleurs similaire à ce qui s’offre à la vue, des objets éparses voire intermittents de Signer au vide inquiétant d’Assaël, le corps est mis à contribution pour s’approprier les œuvres sous de nouvelles formes. Alors oui, définitivement, avec l’exposition en cours à Pompidou, le Vide semble être une tendance actuelle de l’art, répondant de manière brutale aux débordements environnants. Et dire que certains s’en plaignent….

Roman Signer



Cela faisait bien longtemps que l’on espérait une exposition enfin propice à la mise en avant de l’œuvre d’art dans son unicité et sa singularité. Que vous traversiez le Palais à la vitesse des héros de
Bande à Part (Jean-Luc Godard, 1964) ou que vous preniez un temps salutaire pour explorer les pénétrations sensorielles imposées, peu importe. Gakona laisse le spectateur enfin libre de choisir, corriger, interpréter ou rejeter en toute quiétude des propositions orientées. L’exposition extrémise les tendances prises et perdues de l’inaugurale 5 Milliards d’années (période Walherienne) : pointues, précises, ouvertes et réflexives, le tout sans être (trop) élitiste. Mais attention si l’exposition dans sa conception est bonne, cela n’implique pas forcément un concours d’éloges pour les œuvres présentées. La preuve.

Evidemment, commencer par Roman Signer ne présente pas un gros risque. Le travail de l’artiste suisse est absolument et définitivement brillant et ne suscite d’ailleurs aucun commentaire superflu. L’économie absolue de moyens (une table, des chaises et une tondeuse électrique, des parapluies) ne cache que partiellement la mise en place de moyens colossaux, techniques parfois, conceptuels toujours. Il est le digne représentant de l’artiste magique et magicien dont on ne peut, et ne doit pas surtout, relever les tours.

Ceal Floyer navigue quant à lui dans des océans plus flous et ténébreux. Le pseudo-minimalisme mis en place alterne le très bon (diapositive d’interrupteur), le vraiment pas mal (ligne tracée et vestige de l’action) et le moyen sans être mauvais (sons). La froideur des pièces, leur éloignement, participe d’un choix esthétique qui se répercute dans le dispositif et la correspondance qui se crée entre les œuvres. Elles se passent volontiers de nous, nous plus difficilement d’elles.

Haarp de Laurent Grasso par contre a plutôt tendance à laisser indifférent. Certes, l’ensemble est esthétiquement réussi, suffisamment proportionné pour impressionner, mais il apparaît comme le paradigme d’une tendance forte de l’art actuel (français notamment) que l’on retrouve dans la jeune génération. A savoir l’application d’une recette toute simple : on prend un événement intéressant issue de la petite histoire (scientifique de préférence pour le justificatif théorique), on l’interprète plus ou moins grossièrement dans le champ de l’art (de la reproduction identique aux changements légers, modifications de détails) et si possible, on lui colle une dimension référentielle à l’art conceptuel et/ou minimal. C’est pas trop dur, ça marche à tous les coups (coûts) et vous pourrez fièrement dire : « c’est moi qui l’ait fait ! »… ou presque.

Chizhevsky Lessons de Micol Assaël fonctionne d’ailleurs exactement sur le principe énoncé ci-dessus (comme quoi, ce n’est pas non plus une spécificité française). A la différence près qu’Assaël propose une expérience qui est autre que visuelle et qui, appelant les fondements du corps, surprend et apporte une dimension disons sagement novatrice. Comme Laurent Grasso, l’installation est très belle dans sa perfection formelle, mais elle tire son avantage des sensations que nous traversons. Il n’est pas fréquent de ressentir la manifestation concrète de la traversée de notre sensibilité dans notre corporéité, alors, profitons-en.

laurent grasso gakona

Pour les heureux spectateurs du concert de Thee Majesty au Centre Pompidou samedi soir, une expérience corporelle similaire à Gakona était proposée. Vibrations, ressenti(ment)s, explorations de contrées inexplorées, irritations, silences et bruits étaient au programme. Comme quoi, finalement, dans le minimalisme ou dans l’exubérance, la provocation d’émotions alliée à la puissance conceptuelle sont les échelles de jugement principales de l’art… celles seules capables de vous évader, ne serait-ce qu’à l’intérieur de votre corps, matériel ou immatériel : n’est-ce pas, Genesis ?


Gakona: minimal exuberance.

Only 6 works. Nothing more. Even the pieces go through the exhibition silently. Even more, the number of works reduces when you move: 3 by Roman Signer and Ceal Floyer, 1 by Laurent Grasso and Micol Assaël. You have a similar visual reduction, from scattered and intermittent Signer’s objects to Assaël’s worrying emptiness, the body is call upon services to appropriate pieces through new forms. So, definitively, with the running exhibition at Pompidou Center, the vacuum is a current trend of art, roughly answering to surrounding excesses. Who could complain?

We were waiting for a while now an exhibition that enlightens the work of art as a unique and singular object. You can run through the Palais de Tokyo at the speed of the main characters of Bande à Part (Jean-Luc Godard, 1964) or take a salutary time to explore the imposed sensorial penetrations, it’s the same. Gakona leaves the spectator free to choose, correct, interpret or quietly reject those oriented proposals. The exhibition is an extreme continuation of the tendencies taken and lost after the inaugural 5 Milliards d’années (Walherian period): sharp, precise, opened, reflexive, but not (too much) elitist. But, be cautious: if the exhibition is well designed, it does not mean that the exhibited pieces are all perfect. Here is the proof.

Obviously, beginning with Roman Signer is not risky. The work of the Swiss artist is absolutely and definitively brilliant, and does not spark off superfluous comments. The absolute economy of means (a table, chairs and an electric mower, umbrellas) only partially hides the colossus means implemented, sometimes technically, always conceptually speaking. He is the proudly representative artist figure, magical and magician, and we can’t, and don’t have to, reveal the tricks.

Ceal Floyer navigates on more tenebrous and blurred oceans. His pseudo-minimalism alternates the very good (the switch slide), the good (line traces and action relic) and the ordinary but not bad (sounds). The coldness of the pieces, their distance, participate of an aesthetical choice that is reflected in the dispositive and the connection created between the works. They can live without us but it’s harder for us to do without them.

Haarp by Laurent Grasso leaves us indifferent. The whole thing is aesthetically well done, sufficiently proportioned to impress, but it’s the paradigm of a strong trend on actual art (notably French art) of the young generation. The recipe is quite simple: you take an interesting event from the little history (preferably from Sciences for the theoretical justification), you interpret it quietly roughly on art field (from identical reproduction to slight changes, details) and, if you can, add a referential dimension to conceptual and/or minimal art. Not too hard, it succeeds each time and you can proudly say: “I (almost) did it”.

Chizhevsky Lessons by Micol Assaël runs on exactly the same principle (so, it’s not typically French). The main difference is that Assaël proposes an experience that is not visual, appealing our body foundations, and surprises us by bringing a dimension wisely innovative. Like Laurent Grasso’s piece, the installation is very beautiful on its formal perfection, but it has the advantage to make us go through new feelings. It’s not so frequent to feel the concrete manifestation of our sensibility passing through our body, so, enjoy!

The happy spectators of Thee Majesty show at the Pompidou Center Saturday night lived a similar corporal experience to Gakona. Vibrations, feelings, exploration of unexplored countries, annoyances, silences and noises were the menu. Finally, on minimalism or on exuberance, to provoke emotions and conceptual power is the main art judgment principle. The only one that allows you to escape even on your own body, material or immaterial: isn’t it right, Genesis?

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