JEREMY DELLER / CHRISTOPH BÜCHEL : HYPERRÉALISTES SOCIAUX

On évoquait récemment la délicate délimitation de l’art et de la culture populaire au sujet de Tom Friedman. Jeremy Deller nous répond avec son exposition – carte blanche D’une révolution à l’autre (26 septembre 2008 – 4 janvier 2009) au Palais de Tokyo de Paris. Décidant d’abolir toute frontière entre artistes et artisans, art et art brut, culture élitiste et populaire, Deller décide de remplir pleinement son rôle de commissaire libre.

jeremy deller christoph buchel

Pas de contraintes ici pour une installation gigantesque de « Folk archives » essentiellement britanniques, associées à quelques réminiscences françaises ou russes. Cela donne une exposition dense et difficile à appréhender tant pour les spécialistes que pour les novices, une sorte de démocratie artistique sans doute désirée. Cette démocratie se retrouve d’ailleurs dans le traitement de l’accrochage : le confirmé Scott King se retrouve par exemple sur un pied d’égalité avec d’anonymes créateurs. Une dilution des valeurs et des jugements dont on tire un enseignement majeur : Jeremy Deller prouve une fois de plus, si besoin était, qu’il était un grand artiste. Brillant surtout dans sa gestion de collectivités et de mises en œuvre d’ensemble d’envergures, un commissaire de talent, un vrai chef d’orchestre, lui.

Ce qui surprend le plus dans cette exposition c’est la plongée que nous propose Deller dans une réalité qui ne nous est pas familière. Sans évoquer l’ « inquiétante étrangeté » (tarte à la crème psychanalytique), « d’une révolution à l’autre » permet une immersion dans un quotidien qui nous échappe. Une sorte d’hyperréalité se crée qui n’est pas sans évoquer Dump, une pièce de l’exposition précédente Superdome. Dump de Christoph Büchel était une ascension dans un gouffre. Une entrée dans un enfer au-dessus de la terre, inversion d’un paradis perdu, comme si tout ce qui était enfoui et caché ressortait soudain dans un même lieu. Face à l’abondance d’objets d’un certain quotidien que l’on préfère ignorer, Büchel lui aussi donnait à voir une hyperréalité qui ouvre sur un monde à l’existence trouble et troublante. Deux volontés similaires de montrer une réalité qui existe sans que l’on en ait pleinement conscience, un espace qui nous échappe et nous interpelle : deux œuvres d’art tout simplement.

jeremy deller christoph buchel

Jeremy Deller et Christoph Büchel partagent, en plus de leur passion commune pour le rock, une haute conscience politique et sociale. Au premier, cela a valu de remporter le prestigieux Turner Prize en 2005 pour Battle of Orgreave, reconstitution à l’identique de l’affrontement entre forces de l’ordre et mineurs grévistes au milieu des années 1980. Le second a mis le monde de l’art en émoi avec l’installation démente (à tous les sens du terme, même les inconnus….) Simply Botiful chez Hauser & Wirth à Londres. Bien qu’incompressible et indivisible, on peut néanmoins tenter de ressortir de Simply Botiful un exemple significatif : prenons pour cela la pile des Mein Kampf (Hitler, 1923) traduits en arabe qui se trouvaient entourés de tapis de prières recouverts d’images du 11 septembre. Un environnement somme toute empreint de légèreté et d’insouciance…. Cette pile incarnant le Mal absolu évoque évidemment le conflit israélo-arabe et les événements internationaux du Proche et Moyen-Orient mais il rappelle aussi que la traduction du livre en arabe remonte au début des années 1930 et que le premier éditeur français Fernand Sorlot comparait, dans son Avertissement, son influence sur un peuple à celle du… Coran. Cette pile de livres fut mise en vente par la suite durant la Frieze Art Fair 2006 par la galerie Hauser & Wirth. Vite vendue, vite retirée du stand. Peur de représailles ? Pas du tout ! Certains visiteurs volaient les ouvrages. Quand la réalité dépasse et inquiète plus que la fiction…. « Qui peut souhaiter se balader dans une foire d’art contemporain avec un exemplaire de Mein Kampf sous le bras ? » s’interrogeait le galeriste Iwan Wirth. Sans doute quelques personnes désireuses d’emporter avec elles un morceau de réalité « fantastique » (au sens premier cette fois), heureuses d’accéder à un hyperréel crée de toute pièce par l’art. Aussi fascinant que l’éléphant mécanique de la famille Clare, aussi percutant que la banderole Antinazi League d’Ed Hall flottant aux plafonds du Palais de Tokyo….

Jeremy Deller / Christoph Büchel: social hyperrealists.

There’s been recent discussions about the sensitive frontier between art and popular culture concerning Tom Friedman works. Jeremy Deller gives us an answer with his exhibition at Palais de Tokyo, Paris, From a revolution to another (September 26th, 2008 – January 4th, 2009). He’s decided to abolish every boundary defining artists and craftsmen, art and art brut, high and low culture and to assume his role as a free curator. No constraints here for his giant installation of Folk Archives, merely British with some French and Russian stuffs. The exhibition is dense and hard to understand for both specialists and beginners, kind of a wished upon art democracy. Democracy can be shown through the display: as certified an artist as Scott King is, he receives the same treatment as anonymous creators. Values and judgments are weakened and one major lesson emerges: Jeremy Deller is a great artist. He is brilliant, particularly when he deals with collectivities and high scale ensemble projects. He is a talented curator, a real conductor.

What’s most surprising in this exhibition is the Deller’s proposition to dive into an unfamiliar reality. We are not talking about Uncanny (psychoanalytic slapstick) but From a revolution to another allows us to immerse into a slipping everyday routine. A kind of hyperreality is created which alludes to Dump, a work from Superdome, Palais de Tokyo’s most recent exhibition. Christoph Büchel’s Dump was an ascent in an abyss. A door opened to an evil place above the Earth, a reverse paradise lost, a feeling that everything that was buried and hidden suddenly reappeared. In front of thousands of everyday objects we’d rather ignore, Büchel offered a hyperreality opened on a blurred and disconcerting existence. The two wills are similar and want to show an existing reality that we are not fully conscious of, an escaping space which shouts at us: simply two works of art.

Jeremy Deller and Christoph Büchel share a common rock passion and a highly social and political consciousness. Deller won the prestigious Turner Prize in 2005 with Battle of Orgreave, a vivid reconstruction of a battle between miners and police in the mid-1980s miners strike. Büchel excited the art world with the demoniac installation (all interpretations allowed) Simply Botiful at Hauser & Wirth, London. It is incompressible and indivisible but we can try to cut off a significant example: a set of copies of Mein Kampf (Hitler, 1923) translated into Arabic, among a pile of prayer mats woven with motifs celebrating the events of 9/11. Well, a pretty thoughtless and carefree environment…. This set incarnates absolute Evil and deals with Israeli and Arabs conflict, international events in Middle East but it also reminds that the first translation of the book dates back to early 1930s, and that the first French editor, Fernand Sorlot, compared, in his Advertising, its influence on people to…the Koran.

This set of copies has been sold at the Frieze Art Fair 2006 edition by Hauser & Wirth Gallery. Quickly sold, quickly removed. Afraid of eventual retaliations? Absolutely not! People were stealing the books. When reality becomes stranger and frightener than fiction…. “Why would anyone want to walk around an art fair with a copy of Mein Kampf?” questioned the dealer Iwan Wirth. Probably people who wished to take apart a piece of “fantastic” reality, happy to access the hyperreality art had created. As fascinating as Clare Family’s mechanical elephant, as hard-hitting as Ed Hall’s Anti Nazi League banner fluttering on Palais de Tokyo’s ceiling.

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