TOM FRIEDMAN : CAPITALISME ET LIBERTÉ

Nous sommes tous artistes. Potentiellement. C'est en tout cas ce que tentait de nous dire Breton, Manifestement. C'est aussi ce que les médias nous rabâchent plus de 80 ans plus tard. Cuisiniers, chanteurs, starlettes ou maçons, décorateurs ou sportifs, chiens de cirque ou strip-teaseuses : même combat ! Tous artistes ! Pas de jaloux. Egalité. Sauf les artistes, un cran en-dessous, évidemment.... Fainéants, usurpateurs, futiles, bonimenteurs....

tom friedman capitalisme liberte

Valérie Damidot, instituée icône de la D&Co, chef de file du renouveau du design français n'hésite pas à se prendre pour Pollock (dripping aléatoire sur toile tendue sur un mur, "nous allons faire de l'art moderne", ou, plus régulièrement, des petites toiles rayées ou cerclés, hommage sensible et délicatement déguisé à Bridget Riley ou Olivier Mosset : un coup de scotch, deux de peintures, c'est si facile... et amusant avec ça !). "500 euros plus tard" sur NT1, c'est au tour de deux charmants décorateurs de nous remettre une couche de Pollock (mais si, allons, le roi du "happening" précisent-ils....). Ce n'est pas réservé à la France. Dans l'émission de déco "Love it or lose it", les canadiens aussi y sont allés de leur Pollock (on s'interrogera une autre fois sur le devenir décoratif de l'art ; et sur le mythe Pollockien de la facilité honteuse). "Mais on dirait vraiment un Pollock ! Tu crois que l'on pourrait le vendre 2 ou 3 millions de dollars ?"... Mieux vaut arrêter là les dégâts.

Non, au risque d'en décevoir certains, nous ne sommes pas tous des artistes. Loin de là. Quelques-uns, afin de dégager leur différence, ont choisi de prendre le contre-pied de tout cela. Une bonne dose de gigantisme, des moyens énormes, le recours à la technologie de pointe et un discours vaporeux. Le tout bien secoué avec une louche de précocité (préciosité ?) et cela nous donne, s'il fallait donner un exemple extrême, l'opérette de style "flûte (dés)enchantée" de notre petit Mozart français (pas de nom ! il mord pas.... il attaque !). Il n'est pas le seul, loin s'en faut. Ils sont légion, véritable armée d'installeurs-sculpteurs atteints de "gigantivite". Si vous ne voyez pas le bout de l'oeuvre, vous n'êtes pas en mesure de juger, cela vous dépasse, et donc c'est forcément bien. A cette débauche d'énergie créatrice, un artiste se pose en contre-exemple, salvateur.

Tom Friedman travaille sur le quotidien, le petit, l'insignifiant. Paquets de corn-flakes (Untitled 1999), chewing-gums (Untitled, 1990), savons (Untitled 1990), papiers toilette (Untitled 1989), crayons (Untitled 1998), pailles (Untitled 1997), sucres (Untitled 1999) sont quelques-uns de ses matériaux de base (remarquez que les titres sont là pour vous aider à mieux visualiser les oeuvres....). Rien de bien exceptionnel. Tout est à portée de main. Des consommables consommés que l'on croise chaque jour, que l'on utilise même. Presque assez simples pour que nos décorateurs télévisuels puissent reproduire ces mêmes pièces. Seulement voilà, la différence, c'est ce qu'il en fait. Attention, il n'est pas "artiste de cirque" ni "artiste de rue" capable de créer un Balloon Dog (le faux, pas celui de Koons) en moins de deux. Il est plutôt dans la droite lignée des Kosuth, Bochner, Lewitt, Beuys ou Cage : il mêle allègrement l'intelligence du Fluxus à la puissance du Conceptuel. Il crée un art où l'idée prime sur la réalisation tout en étant capable de produire des pièces d'une grande force évocatrice, où l'esthétique croit encore en la poésie. Tom Friedman réinvente la vie, tout simplement. Dans ses oeuvres plus récentes, il côtoie les complexités folkloriques de Mike Kelley (Circus, 2006 - Green Demon, 2008) tout en gardant une âme d'enfant turbulent à la Martin Creed (Balloonsonceiling, 2006 - Care Package (manipulated), 2008 - Vomit, 2006). Des copains de jeux, évidemment.

tom friedman capitalisme liberte

On pourrait multiplier à l'envie les exemples dans lesquels Friedman fait montre de toute sa dextérité d'artiste conceptuellement génial, un brin provocateur, esthétiquement maître de ses idées : Hot Balls (assemblage de 200 boules de tailles différentes volées par l'artiste sur une période de 6 mois), Untitled 1992 (une boule fécale "auto-produite" d'un demi millimètre posée sur un cube en guise de piédestal), autoportraits dans un cachet d'aspirine / taille réelle en morceau de sucre / écrasé au sol en papier, In Memory of a piece of paper (un carré fait de l'absence du papier décomposé autour).... Toutes les oeuvres de Tom Friedman seraient à raconter tant elles interrogent l'histoire de l'art et notre rapport au monde, celui dans lequel on est profondément ancré, assurément féerique.

S'il ne fallait ressortir qu'une pièce, il faudrait sans doute regarder de plus près 1,000 hours of staring (1992-97). Un carré de papier de 82,5 cm de côté que l'artiste affirme avoir scruté pendant un millier d'heures. Oeuvre fondamentale sur les rapports de véracité, sur les relations qui se tissent à l'art, psychologiques et commerciales, sur les fondements d'une oeuvre aujourd'hui, sur l'absence, sur le fini.... On pourrait en parler encore un millier d'heures....

* "Capitalisme et liberté", Milton Friedman, 1962.


TOM FRIEDMAN: CAPITALISM AND FREEDOM*

We are all artists. Potentially. That was Breton said. Manifest(e)ly. That's a sentence that media keep harping on for the last 80 years. Cooks, singers, starlets or masons, interior decorators or athletes, circus dogs or strippers: what's the difference? All artists! No jalousy. Equals. Except from the artist himself, an obvious underachiever.... Lazy, usurper, trivial, a smooth talker. Valerie Damidot, new D&Co icon, leader of the french design reborn, thinks she can be Pollock (dripping randomly on a canvas tight on a wall: "we are going to make modern art", or, more regularly, little stripped or circled canvas, subtle and veiled tribute to Bridget Riley or Olivier Mosset: tapes and paint, so easy... and funny!). "500 euros plus tard" on NT1, two good-looking interior designers become Pollock too (you know, the "happening" star...). It's not only France. On the "Love it or lose it" show, canadians are definitively Pollock (we could question the of-the-moment vision of art as a decoration and also the Pollockian myth representing a shamefully easy art). "But it looks like a real Pollock! Do you think we could sell it 2 or 3 millions of dollars?".... It's better to stop here.

Sorry but, even if you are disappointed, we are not all artists. By far. Some of them, trying to be different, have decided to take an opposite direction. Add gigantism, enormous means of production, high technology and a vaporous speech, plus a little bit of precocity (and preciosity). Shake. You obtain, as an extreme example, a light opera from a junk french Mozart (no name! He doesn't bite.... he sues!). He's not alone, of course. They are legion, a real army of artists who sculpts and installs, obsessed by "gigantism". If you can't see the end of the work, you can't judge, you're surpassed and then, the work is undoubtedly good. In contrast to this profusion of creative energy, one artist appears as a saving counterexample.

Tom Friedman works on everyday life, on little and insignificant things. Cornflakes packs (Untitled 1999), chewing-gums (Untitled, 1990), soaps (Untitled 1990), toilet papers (Untitled 1989), pencils (Untitled 1998), drinking straws (Untitled 1997), sugars (Untitled 1999) are some of his basic materials (you can notice that titles are here to help you visualizing pieces...). Nothing special. Everything is to hand. We meet these consumed consomables every day, we use them. So simple that TV designers could reproduce the very same works. Well, the difference is what he does with that kind of stuff. Beware! He is not one of those "circus artists" or "street artists" who are able to make a Balloon Dog (the fake one, not Koons' piece) in no time. He is much more following the tradition of Kosuth, Bochner, Lewitt, Beuys or Cage. He joyfully mixes Fluxus intelligence with Conceptual power. He creates works where the idea outperforms the realization. He is still aware of the neccesity to produce pieces full of imagination, aesthetics and poetry. Tom Friedman is simply reinventing life. In his latest pieces, he comes closer to Mike Kelley's complex folklore (Circus, 2006 - Green Demon, 2008) but keeps on playing an unruly child character, as Martin Creed does (Balloonsonceiling, 2006 - Care Package (manipulated), 2008 - Vomit, 2006). They play the same game.

We could multiply examples where Friedman demonstrates his dexterity, exposes his slighty provocative conceptual genius, masters his briliant ideas: Hot Balls (200 hundred balls stolen from shops by the artist over a six-month period), Untitled 1992 (a sphere one-half milimetre in diameter of Friedman's faeces centred atop the cubed pedestal), self-portraits carved from an aspirin / life size with sugar cubes / torn apart in paper, In Memory of a piece of paper (a shredded piece of paper arranged to shape a void, equals to the original piece of paper).... All Tom Friedman's works would deserve to be explained. They all question art history, our relation to our environment, a world we are stuck into, an enchanting reality.

If we had to choose only one piece, we'll probably take a close look at 1,000 hours of staring (1992-97). A piece of paper (a 82,5 cm square) that the artist has supposedly stared at for one thousand hours. A masterpiece which examines relationships about truth, about psychological and commercial links to art, about what a work of art is today, about absence, about finish.... We could speak about it for one thousand hours more....

* "Capitalism and freedom", Milton Friedman, 1962

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire