SPY NUMBERS : LES DISPARUS

Dieu que ça avait l’air chiant ! Enfin, Dieu n’y est sans doute pour rien (quoiqu’il a sans doute joué un rôle dans l’élaboration et la continuité de l’art, affaire à suivre…), mais il est vrai que l’exposition Spy Numbers présentée du 28 mai au 30 août au Palais de Tokyo s’annonçait sous, disons, de mauvais auspices (dans un langage plus approprié).

pascal broccolichi spy numbers palais tokyo



Et le pire dans tout ça, c’est qu’en pénétrant dans l’espace réduit de moitié du Palais de Tokyo, on se disait deux choses : que, premièrement, on venait de pénétrer dans l’enfer absolu et que, deuxièmement, les promesses affichées sur le communiqué de presse étaient malheureusement tenues : ça avait l’air définitivement chiant, enfin, ça se présentait sous de vraiment très mauvais auspices…. Et bien, comme l’enfer qui est pavé de bonnes intentions, cette exposition est également pavée de bonnes pièces à deux exceptions près (comme quoi, tout semble marcher par deux dans ce bas monde, manichéisme & Co., retour à Dieu et son compère…).

Après nous avoir pondu (c’est plus chic) Gakona lors de la précédente exposition, réflexion sur Haarp et les recherches sur l’électricité dans les hautes couches de l’atmosphère (plutôt lourd à digérer), voici que nos petits expérimentateurs en herbe reviennent avec Spy Numbers, poursuivant l’étude de « l’électromagnétisme et de ses marges »… Burp ! Comme un signe, il semble qu’il faille toujours se méfier d’une expo sponsorisée par Electrolux, Philips, Climespace (Gdf Suez) et Nokia… De plus, l’éclairage bas et la quasi absence de couleurs ajoutent à l’impression posée par la problématique conceptuelle. Et pourtant, l’exposition est bien vivante. Du moins vivifiante. Evacuons (c’est moins chic) les 2 œuvres en deçà qui ne font pas pour autant de leurs auteurs de mauvais artistes mais des pièces ratées, ce qui arrive à tout le monde (avec plus ou moins de fréquence, c’est là toute la différence). Evariste Richer & Dove Allouche avec La Terrella nous offre une très belle occasion de revenir sur un phénomène (malheureusement) récurrent de l’art actuel : à savoir, prendre comme point de départ une anecdote, de préférence scientifique (ça fait sérieux), en reproduire soit les effets (Nicolas Fenouillat à la Force de l’Art 02), soit la machine en elle-même (ici), et si possible, en changer le matériau, la taille ou la couleur, bref, quelque chose pour la faire basculer dans le champ de l’art. Dans le cas présent, on ne sait pas trop. En plus, vu qu’il y a des jours avec des horaires précis de fonctionnement, on ne peut pas savoir a/ si c’est bien, b/ si c’est beau, c/ si ça sert à quelque chose, d/ si ça marche tout simplement. L’original est une copie mais nous, on aurait préféré l’inverse. La proposition de Stéphane Vigny tient sur le titre mais n’est pas Kosuth qui veut. De vrais poteaux électriques abandonnés. Est-ce finalement mieux que le simple, usé et rébarbatif (drôlement plus chic) changement de matériaux ? Le débat reste ouvert mais n’est pas intéressant pour autant… s’intéresser à autre chose.

La très belle pièce Sonotubes de Pascal Broccolichi fait écho à la très belle pièce des palmiers de Didier Marcel (Force de l’Art 02… encore). Mais c’est aux racines architecturales que s’attèle l’œuvre de Broccolichi qui mixe très justement l’aspect froid et science-fictionnesque avec des sonorités profondément chtoniennes, appelant des sensations enfouies dans le matériau comme dans notre corps : perturbant. To Lower the Mountains de Luca Francesconi est superbe de poésie, d’humour et d’évasion. Une pièce neo-Land Art (mais pas seulement) comme on n’en avait pas vu d’intéressante depuis (trop) longtemps. L’art peut être d’une simplicité apparente effarante et d’une efficacité redoutable en creusant (ôtant… escaladant ?) les couches d’interprétations. Idem pour Norma Jeane est son Everyday Sight / Tribute to Aldous Huxley (June 21st 2003 – June 20th 2004) qui concilie également avec justesse réductivisme formel et puissance évocatrice. Quoi de plus beau que de l’être dans la sobriété et de plus intriguant que de deviner sous la surface de l’œuvre ses multiples dimensions ? Jim Shaw fait du Jim Shaw ; ce qui n’est pas très original ni pertinent comme déclaration mais qui sous-entend que vous avez une œuvre magnifiant notre approche culturelle de la société dans une définition spectaculaire de celle-ci. Quasi extatique. Sans erreur ni contestation possible. Tony Smith est mort il y a presque 30 ans de cela mais laisse derrière lui une œuvre intemporelle dont l’étrange anamorphose cubique (for V.T.) rend pleinement compte. Entre hommage romantique et minimalisme glacé, il lie à la perfection la pièce de Broccolichi avec la photo The Wonder Gaze (St. James Park) de Ken Gonzales-Day. Tous les trois jouent sur de mêmes problématiques sourdes d’où sourdent des enjeux intimement troublants. Un mot pour l’accrochage réussi en angle qui développe merveilleusement l’échappatoire et la gravité sous-(en)tendus par la reproduction de Gonzales-Day. Certes les tirages d’Arthur Mole et John Thomas n’ont rien de très contemporains mais ils offrent une mise en perspective agréable et pas inintéressante du reste de l’exposition. Numbers Station Beacon / Community Broadcast Tower de Matt O’dell aurait très bien pu rentrer dans la catégorie des anecdotes scientifiques précitée. Ce qui la sauve de cette disgrâce est l’aspect inquiétant des chiffres égrainés associés à l’imposante structure, siège de toutes les rêveries cauchemardesques. On ne peut s’empêcher de penser que tout ça fleure bon Lost mais ça fonctionne quand même (après tout, du Pop ou de la société de consommation, qui était là le premier ?). Enfin, Omission de Felix Schramm percute les apparences architecturales en mélangeant matériaux et destructions in situ. C’est peut-être un petit peu trop spectaculaire, on voit trop les effets recherchés et le grandiose qui tente d’emporter notre adhésion mais, même contre notre volonté, cela bascule. L’agglomération et la confrontation du réel et du fabriqué prennent et percutent notre sensibilité. La construction méticuleuse sert finalement une proposition hautement esthétique.

palais tokyo spy numbers

Alors oui, définitivement, visiter l’exposition Spy Numbers cela avait l’air presque aussi chiant que de lire ce texte, et pourtant, il n’en était rien, bien au contraire… non ?

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