LIONEL SCOCCIMARO - CRASH!

C’est bientôt l’été et vous vous dîtes que, les beaux jours arrivant, vous vous prendriez bien un petit artiste qui sent bon le soleil, le sable chaud et l’iode marin. Un de ces artistes cools, funs, qui vous jouent un petit morceau de guitare au coin du feu la nuit tombée sur la plage, qui vous impressionnent au beach volley et vous embarque, toute planche dehors et cheveux au vent, dans son Austin Mini customisée pour une virée endiablée et ensablée. Vous vous dîtes que Lionel Scoccimaro ferait bien votre affaire (au détail près des cheveux…) et là, c’est le Crash, la sortie de piste, l’accident de voiture : vous avez fait fausse route, vous vous êtes plantés, mais vous découvrez, stupéfaits, que vous y avez pris du plaisir….

lionel scoccimaro crash david cronenberg

Dans
Crash, justement (David Cronenberg, 1996), le jeu consiste à reproduire des accidents de voitures et à y trouver un plaisir (sexuel d’abord, psychologique ensuite) dans la confrontation violente du mécanique et du corporel. Cette fascination n’est pas nouvelle, elle parcourt l’histoire de l’ère industrielle puis technologique (de la Bête Humaine de Zola à Ballard, en passant par les futuristes, Bellmer ou Chris Cunningham). On pourrait même remonter jusqu’à Eros et Thanatos, dieu de l’Amour contre personnification de la Mort fait de bronze, d’airain et de fer (déjà...). Bref, on retrouve cette notion de jeu aux allures de confrontation perverse chez Scoccimaro. Vous n’y trouverez pourtant rien de scabreux ou de dégoulinant. C’est bien plutôt la même tentation de tordre la superficialité, de « sensualiser » les concepts. C’est assez évident dans la série des Custom Made Pin-Up ou encore des Bj&SS n°... . Si, pour la première, ce sont les pin-ups qui frôlent les surfaces travaillées de culbutos peints et vernis comme des carrosseries automobiles, hommage à l’underground autant qu’à la sculpture et ses techniques (d’approches), qui viennent apporter une touche de sensualité morbide, ce sont, dans la seconde, les sticks aux crânes chromés qui pénètrent une morbidité sensuelle. On pourrait multiplier à l’envi les exemples qui, à l’instar de Crash, pervertissent la mort dans un jeu étrange. Le néon Little Bastard tiré de James Dean, les Octodégénérés qui s’amusent d’une fin aussi impossible qu’irrémédiable, le Customized Palm Tree, monument exotique et funéraire, le moteur de Performing Machine, charnellement bruyant comme l’enfer. Tout semble tourner autour de l’idée d’interpénétration de notions antagonistes et paradoxalement intimement liées. Scoccimaro fond dans ses sculptures une structure de chair, d’humain, osons d’humanité, sous les froides et glacées surfaces. Il suffit de les froisser pour les révéler, comme les tôles embouties des éclats « ballardiens ».

Si vous ne goûtez que très peu aux plongeons dans les entrailles des chairs de l’art, il ne vous reste plus que, à l’instar du héros du film nommé.... James Ballard (James Spader), a lentement admiré les cicatrices. Elles sont la partie visible, superficielle, de la coupure profonde. On ne retient souvent du travail de Lionel Scoccimaro que son penchant pour les finis customisés et le surf, soit deux cultures largement dénigrées. Alors, vous pouvez toujours passer langoureusement vos doigts le long de ces boursouflures (surtout si elles appartiennent à Gabrielle (Rosanna Arquette)) ou comprendre qu’elles ne sont que le signe extérieur d’une fragilité recouverte. Les constructions de sucres Maybe, architectures utopiques, fantasmées, sont des élévations d’apparences vulnérables, des réminiscences de rêves brisés, des cicatrices à ciel ouvert. Le Not so Zen Garden est d’ailleurs sûrement lui aussi à relire sous cet angle là. Toujours la déchirure de l’apparence d’où n’émerge que nos attentes, et leur déformation. Plus précisément, Scoccimaro renvoie une image différente, non déceptive, mais ouvrant sur réalité retraitée (on ne parle pas ici des Octodégénérés...). Idem pour le banc de Customized Bench, véritable entaille dans le réel, marque laissée sur la peau d’une double réalité, celle du monde extérieur et celle de l’image donnée par la culture underground, dans leur confrontation respective au champ de l’art. Scoccimaro met à mal les apparences, sculpte un réel que l’on pense connaître et pouvoir appréhender, et qui glisse et nous échappe. Alors ça frappe, comprime et compresse, écrase et redonne à voir une nouvelle esthétique.

lionel scoccimaro crash david cronenberg

A n’en pas douter, vous avez sans doute désormais beaucoup moins envi de prendre la route avec Lionel Scoccimaro, même dans sa superbe Mini Surf Car, imaginant qu’il sente soudain l’irrépressible désir de se jeter contre un arbre, histoire de sentir la sensualité du massacre. Et ce, même s’il vous promet des béquilles customized....

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire