NATHANIEL RACKOWE : NEON BIBLE

Quoi de pire que de travailler avec des néons à l’heure actuelle sur le marché de l’art contemporain ? Travailler avec des crânes ? Peut-être..... mais pas de beaucoup. L’utilisation des tubes fluorescents (pour être tout à fait exact) n’était pourtant pas destinée à subir une si funeste fin. Elle était plutôt condamnée à devenir un apparat réservé à Dan Flavin, sa marque de fabrique éternelle, comme le bleu pour Klein, Marilyn pour Warhol, l’animal coupé pour Hirst ou le plagiat pour… certains.

Nathaniel Rackowe

Maîtrisé dans sa fonctionnalité, épuisé dans ses utilisations, le néon n’avait pas de raisons de réapparaître de sitôt. Seulement, sur l’exemple postmoderne de détournement (de publicités notamment), le néon est revenu hanté les galeries. Les écritures en tout genre pullulèrent avec plus ou moins de bonheur et d’intelligence. Les excellents Trajectoire de mouche de Pierre Malphettes, le Neon Circle de Carsten Holler ou le Je suis une merde de Claude Lévêque se sont mélangés a à peu près tout et (surtout) n’importe quoi. Chacun y est allé de son petit message, de sa petite touche, de son non-apport à l’histoire de l’art : Marcelline Delbecq, Reynald Drouhin, John Cornu. Désolé pour eux, ce ne sont malheureusement que les derniers entraperçus récemment.

Il n’est donc pas chose aisée d’oser utiliser encore le néon à notre époque et pire, de l’utiliser en référence à Dan Flavin. Comme il n’est pas chose aisée de maîtriser la lumière.... après Dieu. En ce qui concerne Dan Flavin, la référence et la réappropriation chez Rackowe peuvent être évidentes par la reprise à l’identique d’œuvres du maître minimal (SP3 (for V Tatlin)), ou plus subtiles par l’utilisation de matériaux industriels, démarche première de Flavin (poteaux d’échafaudage, bitume, parpaing). Flavin n’est d’ailleurs pas le seul cité : on retrouve aussi Donald Judd dans Block Shelves 2, Bruce Nauman dans Pathfinding, Sol Lewitt dans Block, Tony Smith dans Cube 5, etc. On pourrait parler aussi de l’art cinétique, des Doors de Jim Lambie, de la robotique : on l’aura compris, le travail de Rackowe est riche en référents prestigieux et s’inscrit dans leur droite lignée. Seulement, comme il insère les tubes fluorescents de Flavin dans des gaines de métal pour n’en laisser échapper qu’une faible lueur à leur extrémité, Rackowe contrôle son sujet. Il a non seulement assimilé l’intérêt de Flavin pour la lumière mais en plus il l’a digéré et le modèle pour créer une œuvre infiniment personnelle.

nathaniel rackowe art

C’est d’ailleurs le paradoxe des artistes suffisamment intelligents pour savoir utiliser à bon escient des références évidentes et nombreuses qui dégagent un travail infiniment plus abouti et singulier. Rackowe est de cette race là. Son travail au final ne ressemble à personne. En effet, Rackowe apporte une touche étonnante et joue sur les ambivalences : un fini impeccable avec des matériaux bruts, une complexité mécanique apparente avec des objets récupérés détournés, la froideur des éléments avec la chaleur du rendu final. Le travail de Rackowe est un dialogue étrange et cohérent de matériel et d’immatériel, de technologie et d’humanité. On se laisse griser par la simplicité, émerveiller par la réussite esthétique. Rackowe réinvente un art post-minimal puissant et tranquille. Sûres d’elles, les œuvres de Rackowe se démènent toutes seule une fois leur indépendance gagnée. Nathaniel Rackowe nous fait découvrir la poésie industrielle à la manière d’Einsturzende Neubauten, avec peu de moyens, une gamme de couleurs limitées et des intentions conceptuellement ambitieuses. C’est tellement beau dans son évidence qu’on en oublie qu’il utilise (aussi) des néons. Comme Flavin qui les fait disparaître dans la lumière, Rackowe les désintègre dans sa propre lueur. Le néon n’est plus qu’un moyen d’accéder à un état de transcendance esthétique, pas une fin en soi. Une leçon sans doute à méditer. Quand on voit de tels travaux, on se dit que décidemment la vente de néons ne devrait être autorisée que pour ce genre d’artistes…


Nathaniel Rackowe: Neon Bible.

What’s worth than working with neon’s today on the contemporary art market? Working with skulls? Maybe…. But only just. The use of fluorescent tubes (to be perfectly correct) was not supposed to end like that. It was actually doomed to become a reserved attribute of Dan Flavin, his eternal trademark, as blue for Klein, Marilyn for Warhol, cut animals for Hirst and copy for… others. Its functionality mastered, its uses worked out, there was no reason the neon came back. But, following the postmodern example of embezzlement (of ads notably), the neon came to haunt galleries again. All kind of writings proliferated, with more or less intelligence. The great Trajectoire de Mouche (fly trajectory) by Pierre Malphettes, the Neon Circle by Carsten Holler or the Je suis une merde (I am a shit) by Claude Lévêque mixed up with everything and (specially) anything. Everybody lets his own little message, his little touch, his no-contribution to art history: Marcelline Delbecq, Reynald Drouhin, John Cornu. Sorry for them, they are only the latest we quickly saw recently.

It’s not easy to use neon today and particularly in reference to Dan Flavin. It’s not easy to overcome light too… after God. Concerning Dan Flavin, the reference and the reappropriation on Rackowe’s work is obvious when he covers identically works of the minimal master (SP3 (for V Tatlin)), but can be more subtle when he uses industrial materials, the genuine reasoning of Flavin (scaffolding posts, asphalt, cinder blocks). Flavin is not the only one quoted: we find Donald Judd’s influence on Block Shelves 2, Bruce Nauman on Pathfinding, Sol Lewitt on Block, Tony Smith on Cube 5, etc. We could mention kinetic art too, Jim Lambie’s Doors, robotic: the art of Rackowe is full of prestigious referents and follows their path. However, as he puts fluorescent tubes of Dan Flavin into metal ducts and lets only weak lights escaping from their extremities, Rackowe controls his topic. He perfectly assimilated Flavin’s interest for light, digested it and modeled it to create an infinitely personal work. That’s the paradox: clever artists know how to advisedly use obvious and numerous references to develop a peculiar and successfully completed work. Rackowe is one of them. His work looks like no one. Precisely, Rackowe brings a surprising touch and plays with ambivalences: a faultless finish with raw materials, an apparently complex mechanic with saved and diverted objects, the coldness of the elements with the warmth of the piece ended. The work of Rackowe is a strange and coherent dialogue between materiality and immateriality, technology and humanity. We let ourselves intoxicate by simplicity, fascinated by successful aesthetic. Rackowe reinvents a post-minimal art, powerful and peaceful. Self-confidents, Rackowe’s pieces exert themselves alone, once independence won. Nathaniel Rackowe lets us discover industrial poetry like Einsturzende Neubauten does, with few means, a limited colors range and conceptually ambitious wills. That’s so beautiful on its obviousness we almost forget he uses neon (too). Like Flavin made these latter disappear into light, Rackowe disintegrates them into his own glow. The neon is just a mean to access to a state of aesthetical transcendence, not an end by itself. A lesson probably to ponder over. When we see such works, we reflect that, definitively, the sale of neon should be allowed only to this kind of artists…

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