BENOÎT-MARIE MORICEAU : POUR UNE TAXIDERMIE DE L'OBJET

A l’instar de Norman Bates, le héros discret de Psychose, Benoît-Marie Moriceau a un penchant pour une certaine forme de taxidermie. Dans Psycho, il tend une peau d’un noir absolu sur un squelette de maison : la solidification de Mme Bates ou, le retour de la momie ?

benoit marie moriceau Hitchcock psychose



Le temps est à la psychose. Enfin, à
Psychose. Et même à Psycho. Pas celui d’Hitchcock, celui de Van Sant. Celui de la reprise, de la réadaptation, de l’hommage et de l’éloignement, de la copie critique.

Le Psycho original date de 1960 (une époque où voir Janet Leigh en sous-vêtements dans le film tombait sous le coup de la censure….). Il repose sur une dichotomie simple et classique du Bien et du Mal, exprimée visuellement par l’utilisation contrastée du noir et du blanc et par l’opposition des verticales et des horizontales. Cette dernière se retrouve notamment mise en valeur par la dualité du motel de Norman Bates avec la célèbre maison de la mère au sommet de la colline. Cette demeure est devenue célèbre, véritable archétype de la maison d’horreur définitivement ancrée dans l’imaginaire collectif. Hitchcock voulait d’ailleurs qu’elle symbolise le gothique américain, mélangeant la maison de la Famille Addams avec la House by the Railroad du tableau d’Edward Hopper. Née de l’art, il est assez naturel qu’elle y retourne, reprise à son tour, détournée ou fantasmée, de manière allusive ou plus directe. Dans la pièce Alfred’s Story de Sarah Woodfine, le dessin de la maison hante le fond d’une maquette hommage au maître du suspens.

Psycho c’est aussi le titre qu’à décider de donner Benoît-Marie Moriceau à une de ses œuvres. A Rennes, dans l’espace 40m3 / Le Château, il réalise un projet simple. Il recouvre entièrement de peinture noire cet hôtel particulier à la tour évocatrice. Une sorte de monochrome en 3D. Devenue soudainement terriblement inquiétante, la maison se pose en sculpture géante, une sorte de monolithe noir qui renverrait cette fois au 2001 : a space odyssey de Kubrick. Une installation dans laquelle on ne pénètre pas, qui nous rejette. Une attitude que l’on n’a pas l’habitude de ressentir face à une œuvre d’art, trop habitués que nous sommes sans doute à ce que l’on nous donne tout. C’est finalement une œuvre du vide, de l’absence. Il n’y a rien à voir, reste plutôt à ressentir le noir. Une expérience de la couleur qui n’est pas sans rappeler le (non) « geste » de Klein. Une dialectique conceptuelle qui propose de redécouvrir l’environnement. Une pièce de Land Art urbain. Un graff’ qui aurait mal tourné…

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Peu, pas assez, d’artistes jouent de corrélations avec l’architecture. Gordon Matta-Clark en était le grand maître, mais il est mort il y a 30 ans de cela. Le mode opératoire visant à réinterpréter une construction donnée n’est certes pas nouveau. D’autres exemples existent, tout aussi emballants (!). L’acte de Moriceau demeure néanmoins singulier. Peut-être pourrait-on cependant le rapprocher du travail du plasticien allemand Gregor Schneider. De manière étonnante, il reprend lui aussi une scène issue de Psycho dans Die familie Schneider, Walden Street 14. Installation performance de jeux de miroirs sur la banalité et l’enfermement. On assiste notamment à un homme qui prend sa douche derrière un rideau translucide, nous offrant la place du tueur potentiel. Mais c’est surtout l’œuvre Das Schwarze Quadrat, hommage an Malewitsch du même Schneider qui retient notre attention. Une construction architecturale cubique noire toute simple. L’hommage à Malevitch travestit la reprise exacte de la Ka’ba, cube sacré à La Mecque vers lequel on se tourne pour prier (les versets coraniques de la kiswa en moins). Une œuvre qui frôle la polémique dans ces temps de… psychose (puisqu’on vous le dit) !

Quoi qu’il en soit, Psycho de Benoît-Marie Moriceau est une œuvre intrigante à l’esthétique fascinante. Réapprendre à lire l’architecture, donner à voir non pas un jeu sur l’espace intérieur mais extérieur est un vrai tour de force. Le seul point négatif pourrait être que la peinture utilisée était une peinture « pelable » qui a disparu au premier coup de jet d’eau. Quelle force elle aurait absorbée de sa conservation et de son ancrage définitif dans l’interaction avec la ville : enfin une sculpture publique utile ?… Autant dire, un miracle ! Un coup de maître ! Comme celui d’enchaîner 90 plans et 70 angles de caméra différents pour une scène de douche de 45 secondes…. De ce point de vue, c’est vrai, la beauté est (dans l’) éphémère.


Benoît-Marie Moriceau: towards a taxidermy of the object.

Following the example of Norman Bates, the unobtrusive hero of Psycho, Benoît-Marie Moriceau is fond of a certain style of taxidermy. In Psycho, he stretches an absolute black skin on a mansion skeleton: a solidification of Mrs. Bates or the Mummy returns?

It looks like psychosis. Well, like Psycho actually. Not Hitchcock’s movie but Van Sant’s version. It looks like a cover, an interpretation, an homage and a distant, critical copy.

The original version of Psycho is from 1960 (a time when looking at Janet Leigh’s underwear were censored…). The story relies on a simple and classical dichotomy between Good and Evil, visually expressed by the contrasted use of black and white and vertical and horizontal opposition. This latter is emphasized by Norman Bates’ motel against the famous house of the mother on top of the hill. A mansion that became notorious, a real archetype of the horror house, definitively implemented within our collective imagination. Hitchcock wanted it to symbolize the American Gothic, mixing The Addams Family House with Edward Hopper’s House by the Railroad painting. Born from Art, it only made sense that it turned over, covered again, embezzled, fantasized, directly or not. In Sarah Woodbine’s Alfred’s Story, the drawing of the house haunts the background of a scale model that obviously refers to the suspense master.

Psycho is also the title that Benoît-Marie Moriceau decided to give to one of his pieces. At the Espace 40m3 – Le Château, Rennes, he offers a simple project. He’s completely re-covered this town house, and its evocative tower, with black paint. Sort of a 3D monochrome. The house becomes suddenly frightening, and turns into a giant sculpture, a sort of black monolith, the one which appears on Kubrick’s 2001: a space odyssey. An installation in which we cannot enter, which rejects us. We’re not used to receiving this sort of attitude, we are not used to suffering in the face of art, we’re used to getting everything easily. Actually, it is a work of emptiness, of absence. There is nothing to see or do except to feel black. A colorful experiment that reminds us the (no-) interventionism of Yves Klein. A conceptual dialectic that suggests rediscovering our environment. An urban Land Art work. A graffiti that would have degenerated….

Not that many artists deal with issues linked to architecture. Gordon Matta-Clark was the Old Master, but he died 30 years ago. The modus operandi consisting in reinterpretating an pre-existing construction is not a brand new thing. There are other ‘wrapping’ and exciting examples. The act of Moriceau remains unusual. Maybe we could compare it to the work of German artist Gregor Schneider. Surprisingly, he also alludes to a scene from Psycho in Die families Schneider, Walden Street 14, a performance-installation dealing with banality and imprisonment. The link is clearer when a man takes a shower behind a translucent shower curtain, giving us the opportunity to consider ourselves as potential killers. The piece Das Schwarze Quadrate, homage an Malewitsch is more obviously in relationship with Moriceau work. The homage to Malevitsch distracts attention from the mere copy of the Ka’ba, the sacred cube in the Mecca, which directs Muslims prayers (the Koranic verses of the kiswa are erased). A work that comes close to debating, especially when it looks like… psychosis (we already warned you)!

Be that as it may, Psycho by Benoît-Marie Moriceau is a scheming piece with a fascinating aesthetic. It succeeds in providing us with a new reading grid for architecture, playing with exterior instead of interior space. One might object that the paint used can be removed with water. It would have been so powerful to leave the house irremediably stuck into its blackness, defying the city: as a useful public sculpture? A miracle! A masterstroke! As a sequence of 90 shots, 70 different camera angles for a 45-second scene. Well, I guess that, in this case, Beauty is a question of ephemerality…

2 commentaires:

  1. C'était le deal avec les autorités locales, rendre au château sa blancheur virginale. Avant de le démolir...

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  2. C'est bien le problème : sous couvert de ne pas dénaturer le patrimoine, on retire Serra des Tuileries, on détruit Psycho, et on fige notre présent....
    Que restera-t-il alors de notre patrimoine au XXIe siècle ? Des sculptures d'autoroute ?

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